La justice reconnaît trois familles homoparentales
La cour d’appel de Paris a validé des adoptions réalisées à l’étranger par des parents de même sexe
Anne Chemin
L’un s’appelle Brad, l’autre Brandon, et tous deux disposent d’un état civil pas comme les autres : depuis un arrêt de la cour d’appel de Paris du 24 février, ces petits garçons ont, en droit français, deux pères. « Ces décisions constituent un pas supplémentaire vers l’égalité des droits pour les homosexuels puisque la cour d’appel a reconnu, pour la première fois, qu’une adoption conjointe prononcée à l’étranger était exécutoire sur le sol français », résume leur avocate, Caroline Mécary.
Brad, 12 ans, a été adopté au Royaume-Uni par Jan et Loïc, qui vivent ensemble depuis seize ans. Ils sont devenus ses parents en 2008, en vertu d’une loi anglaise qui autorise l’adoption par les couples de même sexe. L’un des pères, Jan, est français : pour que l’adoption soit reconnue par la France, le couple a donc décidé de demander l’exequatur du jugement de 2008, c’est-à-dire sa « transposition » en droit français.
Depuis un arrêt de la Cour de cassation du 8 juillet 2010, cette procédure est possible : saisie par un couple de femmes qui avait eu une petite fille par insémination artificielle aux Etats-Unis, la haute juridiction avait ordonné l’exequatur du jugement américain d’adoption. Pour Brad, la cour d’appel de Paris a appliqué cette jurisprudence : le jugement d’adoption britannique « ne heurte aucun principe essentiel du droit français », a-t-elle jugé.
L’histoire de Brandon n’est guère différente. Le petit garçon a été adopté en 2009 par Denis et Jean-Louis, un couple d’homosexuels franco-canadiens qui vit à Montréal depuis 1997. Ils ont eux aussi obtenu de la cour d’appel de Paris l’exequatur du jugement d’adoption de la Cour du Québec.
Un mois plus tôt, le 27 janvier, la cour d’appel avait déjà ordonné l’exequatur d’un jugement américain instituant deux parents de même sexe. Il s’agissait, cette fois, d’un couple de femmes qui avaient eu deux enfants par insémination artificielle aux Etats-Unis. La cour a transposé le jugement de 2005 du tribunal de New York, qui avait prononcé l’adoption d’Eloïse et Julien par la compagne – française – de la mère.
Pour Caroline Mécary, qui a défendu les trois dossiers, « ces décisions ont fait «sauter» un verrou intellectuel important : désormais, un enfant peut avoir deux parents de même sexe » . Les actes de naissance français de Brad ou de Brandon mentionneront effectivement deux pères, ceux d’Eloïse et Julien, deux mères. « La réalité sociale pour plus de 30 000 enfants en France est devenue, aujourd’hui, une réalité juridiquement reconnue, si l’adoption est faite à l’étranger » , conclut-elle.
Ces décisions rendent cependant le droit de l’homoparentalité quelque peu paradoxal. Les couples homosexuels français qui ont adopté à l’étranger peuvent désormais obtenir, pour leurs enfants, un état civil français mentionnant deux parents de même sexe, alors que ceux qui vivent dans l’Hexagone en sont privés : depuis la loi de 1966, l’adoption est réservée aux couples mariés, ce qui exclut de facto les homosexuels.
Pour l’Association des parents et futurs parents gays et lesbiens, cette dissymétrie est absurde : « Ces décisions de justice rendent encore plus obsolète la loi sur l’adoption qui en limite le droit aux couples mariés et aux célibataires. Après l’exil procréatif pour avoir accès à la procréation médicalement assistée, les couples de même sexe devront-ils se livrer à un exil juridique pour obtenir la reconnaissance de leur droit familial ? »
Aujourd’hui, huit pays européens autorisent l’adoption par les couples homosexuels. Le Danemark a été le premier à l’autoriser, en 1999. Il a été rejoint par la Suède, l’Islande, la Norvège, les Pays-Bas, la Grande-Bretagne, l’Espagne et la Belgique. Le Canada et certains Etats américains ont, eux aussi, ouvert l’adoption aux couples de même sexe.