GPA : un retour vers la conception biologique de la filiation ?
Le dernier avis rendu par la Cour européenne des droits de l’homme considère que la France peut continuer à transcrire l’acte de naissance uniquement à l’égard du père qui a donné ses gamètes mais pas à l’égard de la mère d’intention, qui devra, elle, adopter son propre enfant.
Daniel Borrillo; Caroline Mecary
La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) vient de rendre un avis sur la question de la transcription de l’acte de naissance d’un enfant né par GPA à l’étranger. Elle considère que la France peut continuer à transcrire l’acte de naissance uniquement à l’égard du père qui a donné ses gamètes (et les autres pères ?) mais pas à l’égard de la mère d’intention qui est inscrite sur l’acte de naissance étranger. Pour faire reconnaître son lien de filiation, cette mère devra adopter son propre enfant. Un tel avis, qui ménage la chèvre et le chou, ouvre la boîte de Pandore de la biologisation de la filiation, alors qu’en droit français, la filiation est toujours une construction sociale, reprise par le droit.
Voila maintenant près de vingt ans que le monde judiciaire est traversé par d’âpres débats sur la question des effets de la GPA en France, mobilisant parents, juristes, juges et associations sans que la question de la transcription des actes de naissance des enfants n’ait été tranchée de manière satisfaisante. Après plusieurs condamnations par la CEDH en 2014, 2016 et 2017, la Cour de cassation a fini par accepter, le 5 juillet 2017, une transcription à l’égard du seul mari de la mère, supposé être le père biologique et en même temps elle a refusé de reconnaître la mère d’intention qui figure pourtant sur l’acte de naissance étranger. En fait, ce choix ne règle rien.
Prenant sans doute conscience que cette situation n’est pas satisfaisante, la Cour de cassation a, le 5 octobre 2018, demandé, un avis à la Cour européenne des droits de l’homme, qui vient donc de le rendre ce mercredi, afin de savoir si la mère d’intention, qui figure sur l’acte de naissance étranger pouvait être considérée comme mère juridique ou si elle devrait passer par l’adoption pour le devenir. La Cour de cassation va même plus loin dans son interrogation et demande « s’il a lieu de distinguer selon que l’enfant a été conçu ou non avec les gamètes de la mère d’intention ». Pourquoi faire appel à la génétique alors que le droit de la filiation s’en est affranchi. Adopter ses propres enfants ? Comment en est-on arrivé à se poser une question aussi absurde ?
La réponse n’est évidemment pas juridique, elle est politique. Jusqu’à la fin des années 80, la GPA était pratiquée en France jusqu’à ce que la Cour de cassation juge, en 1991, que cette pratique porte atteinte au principe de l’indisponibilité du corps humain. D’où vient cette notion d’indisponibilité du corps humain ? Il s’agit d’un concept emprunté à la morale. A cet égard, le professeur Thomas Perroud a raison d’affirmer que face à l’évolution des droits de femmes sur leurs corps et des nouvelles formes de familles, «les juristes conservateurs vont tenter d’élaborer de nouvelles notions, plus neutres politiquement, autour de l’indisponibilité du corps humain et de la dignité pour servir leur projet paternaliste. En même temps, ce courant participera de ce fait à la lutte contre la sociologie du droit et, de façon générale, à l’approche du droit promue par Jean Carbonnier et qui imposait au juriste de regarder les mouvements de la société pour tenter d’adapter le droit. Les juristes, à partir des années 80, ne regarderont plus la société». Et pour cause, ils répètent comme des perroquets l’adage latin « mater semper certa est…» («l’accouchement fait la mère»), alors que l’adoption plénière et l’accouchement «sous X» montrent le contraire depuis des décennies.
De même, une femme qui, légalement à l’étranger, porte l’enfant pour autrui, n’a pas consenti à être la mère de l’enfant : les droits étrangers permettent qu’elle ne soit pas juridiquement une mère.
Plus tôt, en 1985, Robert Badinter, en sa qualité de garde des Sceaux, prônait une très grande liberté, notamment celle de la femme seule de recourir à une PMA, et dénonçait, comme une atteinte à la vie privée, l’interdiction du recours aux «mères» porteuses. Outre l’influence des juristes catholiques dans l’élaboration des notions jurisprudentielles, le Conseil d’Etat, en 1988, a évoqué pour la première fois la «valeur des structures naturelles de la parenté (1)». Qu’ils soient de gauche ou de droite, les juristes conservateurs ont fini par imposer un discours biologisant de la filiation propre au sens commun mais absente du sens juridique. Puis dans les années 90, la notion d’ordre symbolique sera mobilisée par une vulgate psychanalytico-anthropologique, tout au long du débat sur le pacs, pour écarter l’homoparentalité. Et il faudra attendre 2013 pour que l’adoption pour les couples de personnes de même sexe devienne possible avec l’ouverture du mariage civil.
Aujourd’hui, la question de la biologie est aussi posée dans le débat sur la PMA pour toutes, avec la demande d’un accès aux origines : afin de pouvoir intégrer une parenté par PMA, la loi devrait en même temps garantir à l’enfant l’accès à ses origines. Chez nos voisins, où la biologie n’a pas colonisé le droit, la PMA pour toutes existe depuis plus de trente ans. En Espagne, une femme seule peut accéder à la PMA depuis 1988, et la GPA est légale au Royaume-Uni depuis 1985.
En France, la liberté procréatrice et l’égalité des filiations ont ainsi été sacrifiées au nom de l’indisponibilité du corps humain et des invariants anthropologiques. Ainsi, la GPA oblige le droit à la fois à repenser ses règles et à chercher la source de la parenté non pas dans un quelconque soubassement biologique mais dans l’autonomie individuelle et le projet parental, c’est-à-dire la volonté procréatrice des parents d’intention : la filiation de l’enfant, fruit d’une assistance médicale à la procréation (et la GPA en est une selon l’OMS), ne peut avoir comme source que la volonté des parents d’intention, que la règle de droit doit formaliser.
Les personnes qui participent au projet parental peuvent le faire d’un point de vue physique en apportant le matériel biologique nécessaire à la reproduction (sperme, ovocyte, utérus, embryons…) et/ou psychologiquement en donnant leur consentement à un projet parental (affection). Parfois, ces deux éléments peuvent coïncider, parfois, ils ne correspondent nullement. Peu importe, ce qui compte in fine, c’est la volonté d’être parents (intention). Ainsi, indépendamment de la nature de l’apport pour ce projet parental, le lien de filiation devrait être fondé sur le consentement libre et éclairé (sans possibilité de contestation) de la personne ou des personnes ayant participé au projet parental. Dès lors, face à la frilosité de l’avis de la CEDH, la balle est désormais dans le camp du législateur.
(1) Rapport Braibant du nom du rapporteur communiste.