Faut-il boycotter les palaces du sultan ?

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Daniel Borrillo, Caroline Mécary
Au-delà de l’appel au boycott de George Clooney, le gouvernement français se doit d’engager une véritable politique européenne d’asile fondée sur le genre et l’orientation sexuelle face à la persécution des gays, des lesbiennes, des femmes mariées de force ou accusées d’adultère.

Tribune. A peine la coalition internationale a-t-elle annoncé la fin de Daech (l’organisation terroriste la plus homophobe qui n’ait jamais existé) que nous découvrons que le sultanat de Brunei met en vigueur son nouveau code pénal, inspiré de la charia, dans lequel est adoptée la peine de mort pour «toute personne musulmane reconnue coupable d’avoir eu des rapports homosexuels ou adultérins» ainsi que l’amputation d’une main et d’un pied pour punir les voleurs y compris les enfants. Brunei devient désormais le seul pays d’Asie du Sud-Est où l’homosexualité est passible de la peine de mort.

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Malheureusement, il ne s’agit pas d’un cas isolé. Au Moyen-Orient, douze pays punissent l’homosexualité avec la peine capitale. Dans 72 autres pays, les relations homosexuelles consenties sont susceptibles d’une peine de prison. En pleine campagne pour les élections présidentielles et législatives, l’Indonésie, le plus grand pays musulman au monde et jusqu’aujourd’hui l’un des plus tolérants vis-à-vis des moeurs, risque demain de criminaliser les jeux d’argent, la consommation d’alcool, les relations sexuelles hors mariage et celles avec des personnes de même sexe. La situation internationale est si alarmante que l’ONU a créé en 2016 un poste d’expert indépendant sur la protection contre la violence et la discrimination en raison de l’orientation sexuelle et de l’identité́ de genre.

Dans son premier rapport, l’expert de l’ONU souligne que

«partout dans le monde, en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité́ de genre, des personnes sont tuées, violées, mutilées, torturées, victimes de traitements cruels, inhumains ou dégradants, détenues arbitrairement, enlevées, harcelées, victimes de violences physiques et psychologiques et de brimades depuis l’enfance, ou victimes de pressions qui peuvent les conduire au suicide et d’attitudes et de mesures discriminatoires, aggravées par l’incitation aÌ€ la haine». De meÌ‚me, poursuit l’autorité onusienne, «les défenseurs des droits de l’homme qui luttent contre ces violations sont fréquemment persécutés et font face aÌ€ des restrictions discriminatoires aÌ€ leurs activités». La violence recouvre aussi bien le contexte familial que l’école et le milieu sanitaire ouÌ€ l’on pratique des «thérapies» dites de conversion sexuelle.

Depuis quelques années, ces persécutions subies en raison du genre ou de l’orientation sexuelle constituent une circonstance susceptible de justifier le droit d’asile dans un pays européen.

A quelques semaines des élections européennes et face à la barbarie ambiante, il est temps d’affirmer nos valeurs et plus particulièrement celle de l’accueil… Il s’agit à la fois d’honorer notre tradition vieille de deux mille ans et de répondre aux standards internationaux en matière des droits fondamentaux. Le mot asile vient du grec asulon, qui désigne les espaces inviolables. Pendant l’Antiquité, les Grecs mais aussi les Hébreux accueillent, le plus souvent dans des temples, des hommes poursuivis par leurs ennemis. Depuis le concile d’Orléans en 511 et tout au long du Moyen Age, l’Eglise catholique n’a cessé de promouvoir le droit d’asile. Enoncé par les révolutionnaires de 1793, ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale que l’asile est entériné dans le préambule de la Constitution. Il acquiert ensuite un statut international avec l’adoption de la Convention de Genève en 1951, ratifiée par la France trois ans plus tard. Aujourd’hui, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, le Défenseur des droits, le Pape François et autres autorités politiques et morales tirent la sonnette d’alarme. Mais, c’est surtout cette crise humanitaire sans précédent qui nous oblige à placer la question de la protection contre les persécutions des gays, des lesbiennes, des femmes mariées de force ou accusées d’adultère au coeur du débat des prochaines élections européennes.

Si l’appel au boycott de George Clooney (soutenu par Elton John) des palaces de luxe du sultan de Brunei a le mérite d’attirer l’attention internationale sur la situation dramatique des personnes LGBT, il serait stérile d’en rester là. C’est pourquoi nous demandons aux autorités françaises d’engager une politique européenne d’asile fondée sur le genre et l’orientation sexuelle à la hauteur de la situation dramatique que nous traversons.

Daniel Borrillo et Caroline Mecary sont les auteurs de L’homophobie, PUF, 2019.

L’acteur George Clooney (à gauche) et le chanteur-compositeur britannique Elton John appellent au boycott de neuf hôtels appartenant au Brunei en raison des nouvelles lois du sultanat relatives à la peine de mort pour le sexe gay et l’adultère. Photos Valerie Macon et Karen Bleier. AFP.