Etat civil d’enfants nés par GPA : la France de nouveau condamnée

Depuis la dernière sanction en 2014, le gouvernement n’a donné aucune instruction, laissant les tribunaux trancher au cas par cas

Gaëlle Dupont

La France a de nouveau été condamnée, jeudi 21 juillet, par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), pour avoir refusé de transcrire à l’état civil les actes de naissance d’enfants nés à l’étranger par gestation pour autrui. Elle se prononçait dans les dossiers Foulon et Bouvet, où des hommes ont eu recours à des mères porteuses en Inde.

La Cour estime que le refus de transcription constitue une violation du droit au respect de la vie privée des enfants, garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Elle condamne l’Etat à verser 5 000 euros à chaque enfant concerné pour « dommage moral » , et 15 000 euros à chaque famille au titre des frais de procédure.

Les deux affaires étaient arrivées jusqu’à la Cour de cassation, qui avait estimé le 13 septembre 2013 que la naissance étant l’aboutissement d’une fraude à la loi, la GPA étant interdite en France, le refus de transcrire l’état civil étranger était justifié. En novembre 2015, le gouvernement français avait proposé des indemnisations de plus de 30 000 euros aux familles pour solder le contentieux, que ces dernières avaient refusé.

Les nouveaux arrêts de la CEDH, symboliquement importants, ne sont pas surprenants. La Cour confirme la condamnation de juin 2014 dans les dossiers Mennesson et Labassée, où les enfants sont nés par mère porteuse aux Etats-Unis. Tout en reconnaissant à la France le droit d’interdire la GPA sur le territoire national, la CEDH avait affirmé que le refus de transcription « porte atteinte à l’identité [des enfants] au sein de la société française » et avait condamné la France au nom de leur intérêt supérieur. Les enfants concernés vivent en France avec des papiers étrangers, ce qui pose des difficultés dans leur vie quotidienne. Leurs parents dénoncent le fait qu’ils soient pénalisés du seul fait de leur mode de conception.

Cependant le gouvernement n’a donné aucune instruction après la condamnation de 2014 pour faciliter les transcriptions, de peur de prêter le flanc aux opposants à la GPA. Ces derniers redoutent que la reconnaissance par l’état civil n’ouvre une brèche dans l’interdiction française. Les élus laissent donc les tribunaux trancher au cas par cas.

34 transcriptions

« Les actes de naissance des jumelles Mennesson ne sont toujours pas définitivement transcrits, relate Laurence Roques, l’avocate du couple. Le tribunal refuse de reconnaître la mère d’intention. » Dans une GPA hétérosexuelle, la mère d’intention est la femme qui a un projet d’enfant mais ne peut pas le porter pour des raisons de santé (absence d’utérus par exemple). Il arrive qu’elle fournisse un ovocyte pour la conception, ou que le couple fasse appel à une tierce personne, une donneuse d’ovocyte. Or en droit français, la seule mère possible est la femme qui accouche… donc la mère porteuse.

Selon les données transmises par le gouvernement au Conseil de l’Europe, 34 transcriptions d’actes de naissance étrangers ont eu lieu entre la condamnation de juin 2014 et le 1er janvier 2016. « Seules certaines configurations fonctionnent , décrypte Alexandre Urwicz, président de l’Association des familles homoparentales. Quand le père est seul sur l’acte de naissance, quand l’acte mentionne un père et une mère porteuse ou quand il mentionne un couple d’hommes, dès lors que le père d’intention a adopté l’enfant après sa naissance. »

Il y a en revanche blocage quand un parent non biologique est mentionné (mère d’intention ou père d’intention dans un couple homosexuel), ce qui est le cas par exemple quand une GPA à lieu aux Etats-Unis.

« La filiation n’est pas une question biologique, affirme maître Caroline Mécary, conseil de MM. Foulon et Bouvet. La transcription partielle [du seul parent biologique] n’est pas tenable au regard du respect au droit à la vie privée et familiale. C’est une interprétation restrictive. » Laurence Roques plaide également pour la prise en compte de la « réalité juridique » des actes de naissance étrangers. Les arrêts du 21 juillet ne permettront pas de trancher ce débat, puisque les actes de naissance en question mentionnent le père biologique et la mère porteuse.