À la Marche des fiertés, la fête et la lutte restent entremêlées

Alors que la loi ouvrant la PMA à toutes les femmes doit être présentée ce mois-ci, à Paris, les associations ont profité du rassemblement festif de samedi pour dénoncer un texte a minima, loin de répondre aux attentes des familles.

Tandis que les photographes mitraillent les figures du carré de tête, parmi lesquelles la maire de Paris Anne Hidalgo, l’avocate Caroline Mécary, le militant Jean-Luc Romero ou la sénatrice Esther Benbassa, parapluies arc-en-ciel au-dessus de la tête en guise d’ombrelles, une foule colorée rejoint progressivement Montparnasse. Des jeunes surtout, voire de très jeunes, arborant fièrement leur corps, leur genre ou leur orientation sexuelle. « C’est le jour ou jamais ! » justifie Divine, moulée dans un body jaune fluo, maquillage à paillettes et cils démesurés. Chaque année, la Marche des fiertés prend des allures de carnaval pendant lequel les tabous s’envolent. L’édition 2019 n’a pas dérogé à la règle, les rythmes technos dictant le mouvement. Hormis sur les chars des grosses associations, peu de mots d’ordre. Le droit à la procréation médicalement assistée (PMA) semble concerner de très loin les jeunes femmes présentes.

« Moi, je revendique le droit de ne pas procréer », soutient crânement Juliette, pancarte à l’appui. Sans doute à cause de la chaleur excessive, peu de familles ont pris part au cortège. Un peu à l’écart, nous rencontrons Sarah et Marie Antonia, mariées et mères d’Edna, 3 ans et demi, et bientôt d’un autre enfant que porte Marie Antonia. Chacune leur tour, elles ont bénéficié d’une insémination en Belgique, dans un hôpital public, avec donneur anonyme. « On est ici pour accompagner la loi, mais on ne l’a pas attendue. On se réjouit de ce pas vers l’égalité, mais il faudra veiller à ce que ce droit soit effectif. Nous savons que dans les pays qui autorisent la PMA, c’est parfois très coûteux pour les femmes, car les cliniques privées qui pallient le manque de places dans le service public sont très chères. On le voit au Royaume-Uni », prévient Sarah.

« Les personnes trans sont les grandes oubliées ! »

D’autres sont plus revendicatives, comme Ariane. « Les personnes trans sont les grandes oubliées ! tonne-t-elle. Or, la transparentalité existe, et les personnes trans aussi devraient avoir droit au respect de leur vie privée et familiale. Or, tout est mis en place pour nous interdire d’avoir des enfants. On nous refuse aussi systématiquement l’accès à l’autoconservation des gamètes avant d’entreprendre des traitements hormonaux ou une chirurgie stérilisante. Quant à celles et ceux qui arrivent à procréer naturellement, l’État refuse de respecter leur genre en établissant la filiation de leurs enfants, même si notre changement d’état civil est acté. Cela condamne ces parents à un outing permanent et les expose à des discriminations tout au long de leur vie. De même, en cas de séparation, il est trop souvent impossible pour le parent trans d’obtenir la garde des enfants. Combien d’entre nous ont dû se résoudre à un malheureux droit de visite en milieu protégé, comme si nous étions des parents violents ou indignes… »

Dans les têtes et dans les faits, les discriminations sont légion. Véronique Godet, vice-présidente de SOS Homophobie, les interroge ici. « L’époux d’une femme qui accouche devient parent automatiquement, qu’il soit géniteur ou pas. Mais l’épouse, non. Pourquoi ? Le tiers qui donne à un couple hétéro est invisible aux yeux de la loi, mais s’il donne à un couple de femmes, il devient indispensable. Pourquoi ? Dans un couple lesbien, une femme mariée doit adopter son enfant, pourquoi ? Une concubine ne peut déclarer son enfant en mairie, mais si un homme se présente, il peut le faire dans la seconde. Pourquoi ? Pourquoi ces injustices persistent-elles depuis si longtemps ? Nous exigeons une loi qui nous protège enfin », renchérit la militante associative. Parmi les responsables présents, d’autres revendications se font jour : « Il faut que la loi sur la PMA puisse être rétroactive. » « Le mariage est un droit, il ne doit pas être une obligation pour avoir des enfants. » « 43 ans, c’est trop tôt comme limite pour la PMA, il faut l’étendre au moins jusqu’à 45 ans. » Beaucoup déplorent le manque d’écoute des personnes directement concernées et, finalement, une loi a minima qui oblige à continuer le combat plutôt qu’à célébrer une victoire.

« Pour nous, intersexes, c’est de mutilation qu’il s’agit »

Tandis que le cortège s’ébranle, deux associations insistent bruyamment pour avoir le micro. Permission accordée. Le premier à s’en saisir est le porte-parole du Collectif intersexes et allié-e-s. Le caractère chétif de son corps contraste avec l’assurance et la puissance de sa voix. « Ce sont nous, les personnes intersexes, nées avec des caractéristiques qui ne correspondent pas à des définitions binaires des corps masculins et féminins, qui sommes les grandes oubliées des luttes. Dans l’immense majorité des cas, nous venons au monde avec des corps fonctionnels et sains. Pourtant, aujourd’hui encore, on nous traite et on nous opère dès la naissance, dans l’enfance et à l’adolescence, dans le seul but de nous conformer à une norme arbitraire et artificielle. Ces opérations et ces traitements nous détruisent la santé, quand ils ne nous tuent pas. C’est bien de mutilation et de torture qu’il s’agit. » Le jeune militant rappelle d’ailleurs que l’ONU a condamné la France pour les traitements qu’elle fait subir aux enfants intersexes. Et regrette que cette question soit encore trop souvent passée sous silence, insensibilisée, « y compris dans les milieux LGBTI et durant la Marche des fiertés ». « Nous ne sommes pas une quantité négligeable. Nous sommes experts de nos situations et vous vous devez d’inclure nos réalités et nos revendications », presse le porte-parole du collectif qui réclame « l’arrêt total des opérations (en dehors d’un risque vital) et des traitements pratiqués sur les enfants intersexes sans leur consentement, le droit à l’autodétermination et le respect de l’intégrité physique et morale » de ces personnes. Très applaudie, l’intervention fait mouche.

« La stigmatisation des malades infectés par le VIH continue »

Quitte à ternir un peu la fête, Tom, le représentant d’Act Up, tient, lui, à rappeler le caractère politique du rassemblement : « La Marche des fiertés n’est pas seulement une célébration festive. C’est une commémoration de nos combats. Cette marche est née d’une descente policière au Stonewall Inn à New York, il y a cinquante ans. Une émeute de personnes trans, gouines, de pédés, de travailleuses du sexe, usagères de drogues… face à la répression policière. Ne pas le rappeler serait marcher sur la mémoire collective de notre communauté. Autre étape de notre histoire : le sida. Il y a 35 ans, ce virus inconnu commençait à décimer nos amis, nos collègues, nos amours… Il y a 30 ans naissait Act Up Paris et, malheureusement, cette association continue d’exister, car on a toujours besoin d’elle face à la stigmatisation et au manque d’accès aux soins des personnes infectées les plus précarisées et isolées. » Un discours relayé par les militants d’Act Up qui, fidèles à leur esprit provocateur, osent le slogan : « Macron, on t’encule pas ! La sodomie, c’est entre amis… » Il sera entonné quelques instants dans le cortège avant de s’éteindre, couvert par la musique et les cris de joie des manifestants. La fête avait repris ses droits.