Mariage pour tous, adoption pour tous

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Le 11 septembre, la garde des Sceaux, Christiane Taubira, a annoncé le dépôt d’un projet de loi ouvrant le mariage et l’adoption aux 3,5 millions de citoyens français qui en sont exclus en raison d’une discrimination légale, fondée sur leur orientation sexuelle. Et voilà le débat sur le mariage civil ouvert à tous relancé. Relancé car s’il a émergé très timidement dans les années 90, il traverse désormais, depuis la célébration du mariage de deux hommes en juin 2004, la société française de manière récurrente, comme le montrent les récentes prises de position de l’Eglise ou bien le lancement par l’association Civitas de la pétition «Aujourd’hui le mariage homo, demain la polygamie». Sans oublier l’appel de Christine Boutin à un référendum, comme si l’élection démocratique de François Hollande en mai 2012 et celle de la nouvelle Assemblée nationale en juin 2012 n’avaient pas existé ! Et que dire de l’annonce de cet ancien maire d’extrême droite clamant qu’il refusera de célébrer un mariage entre deux femmes ou deux hommes : tout simplement homophobe !

Donc le mariage civil va être ouvert à tous les couples et qui dit ouverture du mariage dit ouverture de l’adoption. C’est là que le bât blesse pour les opposants à l’égalité. Car ce n’est pas tant l’idée qu’un couple de femmes ou d’hommes puisse se marier et élever un enfant qui est, pour une minorité, sacrilège. C’est surtout l’idée qu’un lien de filiation puisse être établi entre un enfant et deux femmes ou deux hommes qui semble être intolérable.

Les motifs avancés pour réserver mariage et adoption au couple hétérosexuel sont principalement fondés sur la procréation, la différence de sexes et l’intérêt de l’enfant. Voyons en raison ce qu’il en est. Il n’est pas inutile de rappeler avec Jean-Claude Bologne que le mariage est une institution, qui ne cesse de changer. Sacrement religieux à partir du XIIe siècle, il est sécularisé en 1791. Et si dans le droit canon la procréation est une obligation, elle ne l’est nullement dans le mariage civil. Avoir des enfants dans le mariage civil est une faculté, pas une obligation, comme le montrent les hétérosexuels qui ne l’utilisent pas, notamment lorsqu’ils sont stériles. Dès lors, on ne peut opposer aux couples homosexuels une impossible procréation pour leur refuser l’accès au mariage civil. La seule condition impérative à la formation du mariage, c’est le consentement des époux et lui n’a pas de sexe.

La différence de sexe est aussi une antienne : avec le mariage civil des homosexuel(les), elle serait abolie. Il faut cesser de confondre ce qui relève du fait et ce qui relève du droit. La différence de sexe est un fait, ce n’est ni un droit ni une valeur politique, à l’inverse du principe constitutionnel d’égalité. Par le passé, la différence de sexe a été instrumentalisée pour s’opposer à l’égalité de droit entre les femmes et les hommes. Elle a, à force de lutte, fini par être abandonnée, de sorte qu’aujourd’hui, les femmes et les hommes sont égaux en droit. Cette égalité en droit n’a pas pour autant aboli la différence de sexe entre les femmes et les hommes, qui demeure un fait. Il n’y a donc aucune raison pour que cette différence de sexe disparaisse d’une quelconque manière, lorsque sera instaurée une égalité en droit de tous les couples avec le mariage et l’adoption. En témoignent d’ailleurs les dix pays européens qui ont déjà ouvert le mariage aux homosexuel(les), où la différence de sexe n’a évidemment pas disparu.

L’intérêt de l’enfant est aussi amplement convoqué dans ce débat. Là également, les opposants à l’égalité entretiennent la confusion entre le droit et le fait. Ils prétendent que l’enfant aurait le «droit» d’avoir un père et une mère, or avoir un père et une mère est un fait, ce ne peut être un droit. Si c’était un droit, l’Etat devrait imposer au million de femmes élevant seule un enfant, de vivre avec une personne du sexe opposé. Il faudrait aussi supprimer l’adoption par une personne célibataire et l’accouchement sous X, qui efface la femme qui a accouché de l’acte de naissance de l’enfant.

Quant à la santé mentale des enfants élevés par des couples de personnes de même sexe, les multiples études réalisées en Europe et aux Etats-Unis montrent qu’ils vont ni mieux ni moins bien que les enfants d’hétérosexuels. Si tel n’était pas le cas, il faudrait immédiatement agir devant le Conseil de l’Europe pour contraindre les dix pays européens qui ont d’ores et déjà ouvert l’adoption à tous les couples de modifier leur législation, l’intérêt des enfants ne pouvant être différent d’un pays à un autre.

En vérité, il n’existe aucun argument rationnel et cohérent qui justifie le maintien de la discrimination légale touchant les enfants actuellement élevés par deux femmes ou deux hommes. Le mariage civil va ouvrir l’adoption et c’est une très bonne chose, car cela va notamment permettre de régler la situation de ces dizaines de milliers d’enfants, qui sont d’ores et déjà là, en rendant possible l’adoption simple de l’enfant du conjoint. L’enfant aura ainsi deux parents et l’Occident ne s’écroulera pas.