Transcription : l’amendement de la discorde. Maitre Mécary déplore que la boussole du gouvernent ne soit pas l’intérêt de l’enfant mais un calcul électoral
L’exécutif souhaite que le « parent d’intention » passe par l’adoption pour établir une filiation avec son enfant. Une manière de revenir sur une récente jurisprudence.
C’est une ligne rouge fixée par l’exécutif dans l’examen du projet de loi bioéthique. Pas question de légaliser – ni même de discuter, puisque la mesure ne figure pas dans le texte – la gestation pour autrui (GPA), chiffon rouge des opposants au texte. Alors qu’une partie de la droite craint que l’accès à la GPA soit le prolongement naturel de la PMA pour toutes, l’exécutif pose une frontière étanche entre les deux pratiques. « L’ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules ne peut et ne doit, en aucun cas, conduire à autoriser la GPA [principalement pour les couples d’hommes, NDLR] au nom du principe de non-discrimination », a insisté mardi la ministre de la Justice Nicole Belloubet.
Le gouvernement va même plus loin. Dans un amendement déposé devant le Sénat, il donne un sérieux coup de frein à l’établissement de la filiation des enfants français nés de GPA à l’étranger. L’exécutif revient ainsi sur la récente jurisprudence de la Cour de cassation. Explications.
Que dit cette jurisprudence?
Dans deux arrêts récents, la Cour de cassation a facilité la reconnaissance du lien de filiation des enfants nés de GPA à l’étranger. Avant ces décisions, la transcription à l’état civil de l’acte de naissance fait à l’étranger ne concernait que le parent biologique. L’autre parent, dit « d’intention », dénué de tout lien biologique avec l’enfant, devait, lui, passer par une procédure d’adoption. Deux brèches judiciaires ont été pourtant ouvertes.
La première remonte au 4 octobre dernier. La justice a ordonné l’entière transcription des actes de naissance de jumelles – celles des époux Mennesson – nées par GPA aux Etats-Unis en 2000. Dans sa décision, la Cour de cassation définit un cadre général limitant la transcription automatique au seul parent biologique. Elle rappelle que l’adoption doit être privilégiée pour le parent d’intention. Mais dans cette affaire, elle considère que l’adoption « porterait une atteinte disproportionnée à la vie privée des enfants », en raison notamment de la longueur de la procédure et de l’âge des jumelles.
Le 18 décembre, la Cour de cassation est allée beaucoup plus loin, avec une position de principe. Elle a validé l’entière transcription à l’état-civil français de l’acte de naissance établi à l’étranger, à condition que celui-ci soit conforme au droit local. En l’occurrence, celui de l’état américain du Nevada. L’adoption n’est pas nécessaire , estime la juridiction. Une petite révolution.
Que propose le gouvernement?
L’exécutif veut revenir sur l’arrêt du 18 décembre, qui juge que la « réalité » de l’acte civil fait à l’étranger s’apprécie au regard du droit local. « Cette solution est source de difficultés car elle soustrait les GPA faites à l’étranger au contrôle du juge français, en particulier le contrôle de l’intérêt de l’enfant et de l’absence de trafic d’enfant », estime le gouvernement. L’amendement propose donc que la « réalité » d’un acte d’état-civil étranger soit « appréciée au regard de la loi française », et non pas de la loi du pays où a été réalisée la GPA. Or, en France, la réalité en matière de maternité « est celle de l’accouchement ».
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Conséquence, la transcription directe de l’acte de naissance à l »état civil serait limitée au parent biologique. « Le deuxième parent, mère ou père d’intention, devra passer par un processus d’adoption et donc par un juge, indique à L’Express la chancellerie. Nous travaillons donc parallèlement avec la députée Monique Limon à faciliter les procédures d’adoption. » La députée LREM a rendu en octobre un rapport sur le sujet. Il préconise notamment de « simplifier les adoptions intrafamiliales ». Pour Nicole Belloubet, cette solution permet de trouver « un équilibre entre l’effectivité de l’interdiction de la GPA et l’octroi d’un état civil aux enfants nés d’une telle pratique ».
L’amendement gouvernemental répond au même objectif que celui déposé par Bruno Retailleau, chef de file du groupe LR au Sénat. Le texte LR interdit, lui, toute transcription à l’état civil d’un « acte ou jugement de l’état civil des Français ou des étrangers fait en pays étranger établissant la filiation d’un enfant né par GPA ». Le gouvernement trouve toutefois cette copie trop sévère : elle interdirait la reconnaissance d’un jugement d’adoption prononcé à l’étranger et empêcherait l’établissement de la filiation dans les cas où l’adoption est impossible en France. Par exemple quand les parents ne sont pas mariés.
Quelles sont les réactions?
Elles sont mitigées. La commission spéciale au Sénat a émis mardi un avis défavorable sur l’amendement du gouvernement. A droite, on préfère la version plus musclée de Bruno Retailleau. « L’amendement de Bruno Retailleau fixe un cadre général plus sécurisant, assure à L’Express la sénatrice LR Corinne Imbert. La formulation du gouvernement et cette notion ‘d’appréciation au regard de la loi française’ risquent de donner lieu à des décisions au cas par cas. On est dans un entre-deux. »
Favorable à la transcription à l’état civil des actes de naissance faits à l’étranger, l’avocate en droit de la famille Caroline Mécary fustige une « régression pour les enfants ». « La boussole du gouvernement n’est pas l’intérêt des enfants, mais politique. Cet amendement est un message envoyé à l’électorat de droite », s’indigne-t-elle. L’avocate estime que l’amendement revient en outre sur l’apport de la jurisprudence du 4 octobre dernier. Dans cet arrêt, la Cour de cassation estime que le « respect de la vie privée et familiale des enfants » peut donner lieu à une transcription complète à l’état civil. « L’amendement impose l’adoption aux parents d’intention dans tous les cas, regrette-t-elle. Les juges auront un signal des pouvoirs publics pour refuser à chaque fois la transcription à l’état civil. »