PMA. Pour ou contre ? Deux expertes s’opposent
Anne-Cécile Juillet
« Quel monde voulons-nous pour demain ? ». Pour répondre à cette question, des sujets brûlants comme la PMA, la fin de vie ou l’intelligence artificielle seront débattus, ces prochains mois, dans le cadre des États généraux de la bioéthique, lancés ce jeudi. Pour éclairer le débat, nous avons recueilli les propos de deux juristes sur le sujet de la Procréation médicalement assistée. Caroline Mécary est pour. Laure de Saint-Pern est contre. Elles nous expliquent pourquoi. Pour Contre
Caroline Mécary est avocate au barreau de Paris. Elle est notamment spécialisée dans la défense des droits des personnes homosexuelles.
Vous estimez qu’il est « grand temps » que la France ouvre la PMA à toutes les femmes, pourquoi ?
Aujourd’hui l’accès à la PMA est réservé aux couples hétérosexuels. La réalité de la pratique montre que dans 30 % des cas, il y a infertilité mais sans aucun problème physiologique. À côté de ça, de plus en plus de couples de femmes ne censurent plus leur désir de fonder une famille. 70 à 80 % d’entre elles se rendent à l’étranger pour avoir recours aux techniques de PMA. L’enfant naît en France et la mère qui n’a pas porté l’enfant l’adopte, à condition qu’elle soit mariée avec la mère qui l’a porté. Il est temps que ces protocoles compliqués cessent, et que la France se mette au diapason de l’Europe sur le sujet.
C’est-à-dire ?
En Europe, 26 pays permettent déjà que des couples de femmes y aient accès, à commencer par nos plus proches voisins. Il est grand temps que la France rattrape son retard en la matière. François Hollande a déçu à ce niveau-là : il avait promis la PMA pour toutes. Les femmes l’ont attendue en vain pendant cinq ans.
Est-ce à la sécurité sociale de prendre en charge ces PMA, sans infertilité physiologique ?
Cette question d’infertilité physiologique et d’infertilité sociale est juste un argument dans la bouche de ceux qui ne supportent pas l’idée qu’un couple de femmes puisse fonder une famille. Ces arguments de type monétaristes masquent une homophobie latente. La sécu rembourse déjà des opérations de chirurgie esthétique, par exemple. C’est comme de dire qu’il y aura une pénurie de donneurs de sperme. Il suffit de l’indemniser, comme cela se fait en Espagne, et cette question sera réglée.
Faudra-t-il lever l’anonymat des donneurs, pour faciliter la quête des origines ?
La quête des origines provient majoritairement dans les familles où l’on n’a pas dit à l’enfant qu’il a été conçu d’une PMA. Dans le cas des couples de femmes, c’est un secret de famille impossible ! Cela n’interdit pas d’ouvrir la réflexion de la mise en place d’un semi-anonymat. N’oublions pas que connaître son identité n’en fera jamais un parent : il n’y a pas de filiation l’égard d’un donneur.
Certains redoutent qu’après la PMA, le recours aux mères porteuses puisse être autorisé.
Je réponds d’une façon très claire : aujourd’hui la GPA n’est pas permise aux couples hétérosexuels. Il n’y a pas d’effet domino. À titre personnel, je pense qu’on peut réfléchir sur la gestation pour autrui, en France, avec notre éthique, nos valeurs, un encadrement et des garanties, pour permettre aux quelques centaines de couples qui ont recours à la GPA, à l’étranger, de ne plus avoir à y aller et de ne pas alimenter une éventuelle exploitation à l’étranger.
Laure de Saint-Pern est Maître de conférences en droit privé à l’Université Paris-Descartes, spécialisée en droit de la famille et de la filiation.
Qu’est-ce qu’un tel changement législatif pourrait modifier ?
À ce jour, la loi dit que la PMA a pour objet de remédier à l’infertilité médicalement constatée d’un couple. Si ce changement de loi se fait, il s’agira de répondre à un désir d’enfant indépendamment de toute considération médicale. Ce désir d’enfant n’est pas criticable en soi. Mais la médecine deviendrait un moyen et non plus un soin. Cela pose la question du remboursement par la sécurité sociale…
Les personnes opposées à ce changement de loi estiment que les enfants grandiront « sans papa »…
À mon sens, la question n’est pas que les enfants grandissent avec ou sans père. L’État n’est pas là pour garantir à chacun une vie sans accident ni difficulté. Elle est bien de savoir si l’État doit consacrer un droit individuel à la construction de sa famille, voire un droit à l’enfant.
Faut-il lever l’anonymat du don de sperme ?
L’anonymat du don permettait deux choses : la discrétion aux couples qui ne souhaitaient pas évoquer leur infertilité, et l’incitation des donneurs. La levée de l’anonymat peut être souhaitable du point de vue des enfants mais elle devra être encadrée. Cumulée à l’ouverture de la PMA aux femmes seules, elle risque de mener à des actions en recherche de paternité. Ce qui risque, à juste titre, d’effrayer les donneurs et d’entraîner une diminution de leur nombre, à l’heure où les demandes vont augmenter. Par ailleurs, la levée de l’anonymat du donneur ne résoudra pas la question du secret de famille.
Les personnes favorables à cette mesure expliquent que la France est « en retard » par rapport aux autres pays européens.
C’est l’argument ultime ! Mais en retard par rapport à quoi ? Ce qui est permis ailleurs s’inscrit dans une culture juridique différente. Par exemple, dans les pays anglo-saxons vous pouvez louer votre corps ou vendre des produits de votre corps (sang, sperme, lait…). En France, le droit consacre le principe de l’indisponibilité du corps humain, ce qui exclut ce type de pratiques. Est-on obligé de penser le droit de la famille comme une chambre d’enregistrement du fait accompli ?
Cette mesure a-t-elle forcément un lien avec l’ouverture à la GPA ?
L’enchaînement est possible mais il n’est pas certain. La gestation pour autrui implique le corps d’une mère porteuse, donc ce principe d’indisponibilité du corps humain pourrait justifier le maintien de l’interdiction. En revanche, la prise en compte des enfants nés de gestation pour autrui à l’étranger existe d’ores et déjà puisque leur filiation paternelle peut être établie, depuis la condamnation de la France par la CEDH, en 2014.