Pierre-Olivier Sur, bâtonnier du barreau de Paris

Le fougueux pénaliste, qui a pris la robe par goût de la mise en scène, s’est fait un nom en enchaînant les affaires brûlantes (Elf Mediator, Cahuzac…). Dès janvier, il endossera le rôle de ses rêves: porte-voix de 26 000 avocats.

Le sol manque sous ses pieds. Pierre-Olivier Sur vient d’apprendre qu’il est battu. Il n’arrive pas à réaliser. Il était favori. Au premier tour, il avait encore 1 000 voix de plus que son adversaire, Christiane Féral-Schuhl. Que s’est-il passé? Celle qui vient d’être élue au bâtonnat de Paris a fait une campagne tellement terre à terre. Elle n’a ni sa maîtrise du verbe ni son palmarès judiciaire. Depuis ses débuts, en 1985, Pierre-Olivier Sur, lui, a fait un parcours flamboyant.

Secrétaire de la Conférence du stage en 1990, prestigieux concours d’éloquence, il a été désigné pour les plus grands procès – ceux de l’affaire Elf, des HLM de Paris, du Crédit lyonnais, du sang contaminé… Il s’est battu pour la profession, faisant campagne pour imposer la présence de l’avocat en garde à vue. Il s’est illustré lors du procès des Khmers rouges, au Cambodge, où il a obtenu que, pour la première fois, des victimes d’un crime contre l’humanité se constituent parties civiles.

Emphatique

Surtout, depuis trente ans, Pierre-Olivier Sur ne rêve que de cela: devenir le bâtonnier du premier barreau de France. Et voilà que, ce jeudi 2 décembre 2010, à 300 voix près, son rêve s’écroule. L’avocat est sidéré comme un amoureux éconduit. Il mettra deux mois à s’en remettre. Il faudra un nouveau dossier – la défense de l’un des cadres accusés d’espionnage dans l’affaire Renault – pour lui ôter de la bouche le goût insupportable de la défaite.

Trois ans plus tard, mercredi 11 décembre 2013, au Palais de justice de Paris, la salle des conférences de la bibliothèque du barreau est pleine de robes noires. Plusieurs centaines d’avocats écoutent le discours d’investiture du nouveau bâtonnier, élu dauphin un an plus tôt. Lorsque Pierre-Olivier Sur se met à parler, la présence du public, comme toujours, dope son éloquence.

Avec émotion, il évoque ses parents disparus: sa mère, le jour de sa prestation de serment – « c’était sa dernière sortie » ; son père, Bernard Sur, le jour de son élection au Conseil de l’ordre – « c’était son dernier bonheur d’avocat ». Il expose son programme, placé sous le signe de « l’ouverture » – à la société civile, aux pouvoirs publics, à l’international. Il insiste sur sa « complémentarité » avec le vice-bâtonnier, Laurent Martinet, associé chez Jones Day, un grand cabinet d’affaires américain. Il promet « le panache » et même « le grain de folie ». Lyrique, il conclut par un hommage au bâtonnier Fernand Labori, avocat de Zola et Dreyfus, pastichant la fameuse anaphore de L’Aurore: « Nous accuserons! »

« J’éprouve une énorme ferté à être, pendant deux ans, l’avocat des avocats, la plus belle des missions, à la hauteur de la fabuleuse histoire du barreau », nous dit avec emphase Pierre-Olivier Sur, dans son bureau du cabinet Fischer, Tandeau de Marsac, Sur et Associés, dans le XVIIe arrondissement de Paris. Pour nous convaincre, il nous abreuve de chiffres. Il sera, dit-il, le représentant de « 26 000 avocats sur les 55 000 avocats français », « le patron d’une PME de 250 salariés », le président de la Caisse des règlements pécuniaires des avocats, « 1,2 milliard d’euros d’actif circulant, l’équivalent de la dixième plus grosse boîte du CAC 40 ». Il pourrait ajouter que son cabinet percevra une indemnité conséquente – elle était de 215 280 euros en 2012 -, et que le bâtonnat peut être un extraordinaire tremplin de carrière.

JUSQU’EN HAUT DU BARREAU

1963 Naît à Paris.

1985 Inscrit au barreau de Paris.

1990 Secrétaire de la Conférence du stage.

1994 Défend André Guelfi dans le procès de l’affaire Elf.

1999 Plaide dans le procès du sang contaminé.

2000 Crée le pôle pénal du cabinet Fischer, Tandeau de Marsac, Sur et Associés.

2011 Défend des familles victimes des Khmers rouges.

2012 Dauphin du bâtonnier de Paris.

2014-2015 Bâtonnier de Paris.

Mauvais perdant

« Depuis deux ans, il a rafé tous les gros dossiers », observe, admiratif, un jeune confrère. Il est devenu le défenseur de la veuve de Yasser Arafat et celui de Baghdadi Mahmoudi, ex-Premier ministre de Kadhafi. Madoff, Cahuzac, le Carlton de Lille, le Mediator ou les prothèses PIP, presque aucune des grandes affaires ne lui a échappé.

On comprend mieux l’intensité fiévreuse de la campagne. Pour être élu, il ne suffit pas de serrer des mains, de tremper les lèvres dans les fûtes de champagne et de chipoter la charcuterie lors des innombrables dîners de Corses, de Savoyards, de rugbymen, de chasseurs ou de bibliophiles du Palais. Il faut savoir encaisser les coups.

En 2010, entre les deux tours de l’élection, l’avocate Caroline Mécary avait envoyé un courriel mettant en cause la probité de Pierre-Olivier Sur et accusant sa colistière de confit d’intérêts. Furieux et dépité par sa défaite, le candidat battu avait obtenu sa convocation devant le conseil de discipline du Conseil de l’ordre, et elle avait écopé d’un avertissement. « Depuis, la cour d’appel m’a totalement relaxée, observe Caroline Mécary. Cet épisode révèle surtout la vraie personnalité de Pierre-Olivier Sur. C’est un mauvais perdant, et ce ne sera pas un grand bâtonnier. Il est trop préoccupé par la reconnaissance publique pour faire passer les intérêts de la profession avant les siens. »

En 2012, la campagne a été plus calme, mais les attaques ont été au rendez-vous, visant en particulier le vice-bâtonnier, Laurent Martinet. Comment l’associé grassement payé d’un grand cabinet international pourrait-il comprendre les souffrances de cette moitié des avocats qui gagnent moins de 2 500 euros par mois? « Face à ces attaques insupportables, Pierre-Olivier voulait réagir, se rappelle Laurent Martinet. Je lui ai enjoint de ne pas répondre. »

Depuis sa défaite, Sur a appris à modérer sa fougue. Il aurait aussi tempéré le comportement « un peu arrogant » auquel il attribue, à mi-voix, l’échec de sa première tentative. « Quelque chose s’est libéré en lui, croit savoir son amie et consoeur Loraine Donnedieu de Vabres-Tranié. Il n’y a pas que la défaite. Des choses se sont passées dans sa vie personnelle. Il s’est libéré, je crois, de son apparence. »

Des cordages au bâtonnat

Dans les années 1980 sur la Damoiselle.

Passionné d’escrime et de voile, il traverse plusieurs fois l’Atlantique à bord de cette goélette. A cette époque, il devient le plus jeune avocat à prêter serment (à 22 ans), et fait Sciences-Po.

En 1994, dans un bureau du Palais de justice de Paris, lors du tournage de Délits flagrants, de Raymond Depardon.

Dans ce documentaire, une scène le montre préparant la défense d’une cliente accusée d’un vol de voiture.

En 2009 au Cambodge, avec Savith Hou, victime des Khmers rouges.

Expert en procédures pénales internationales, il obtient que les victimes de crimes contre l’humanité se constituent parties civiles.

Au côté de son colistier Laurent Martinet en 2013.

Elus fin 2012, les deux avocats prendront officiellement leurs fonctions de bâtonnier et vice-bâtonnier en janvier prochain, pour deux ans.

Le 3 décembre 2013, avec Suha Arafat, veuve du défunt leader palestinien.

Parmi les clients de Pierre-Olivier Sur figure aussi l’ex-Premier ministre de Kadhafi, Baghdadi Mahmoudi.

Ambitieux et lumineux

Comme beaucoup de pénalistes, Pierre-Olivier Sur adore la lumière. Ce besoin de capter l’attention des autres ne date pas d’hier. « Je me souviens d’un jour, en cinquième, au lycée Montaigne, où il s’est levé pour interpeller le prof de français, un sartrien convaincu, et a développé pendant cinq minutes un point de vue opposé au sien », témoigne Christophe Karvelis, associé fondateur du fonds d’investissement Capzanine.

En 1985, à 22 ans, Sur est le plus jeune avocat à prêter serment. En même temps que ses études de droit, il a trouvé le temps de faire Sciences-Po, dans la fameuse promo 86, celle de Jean-François Copé, David Pujadas, Isabelle Giordano ou Frédéric Beigbeder. C’est là qu’il rencontre la plupart de ceux qui constituent son réseau actuel, comme Arnaud Montebourg, dont il a partagé le bureau pendant son service militaire au ministère de la Défense. « Il était intelligent, séduisant, plein d’allant, déjà passionné et habité par l’idéal de l’avocat », se rappelle Marc Guillaume, devenu secrétaire général du Conseil constitutionnel. « C’était un séducteur, très charismatique, confirme Virginie Tellenne, alias Frigide Barjot, autre camarade de promo. Il avait sa bande de copains, un peu plus sages que nous, mais il venait aux soirées du Caca’s Club de Beigbeder et à nos fêtes de Jalons en observateur. Il ne restait jamais jusqu’au bout de la nuit. En général, il repartait avec une fille. » Fils de famille, beau gosse, brillant, le jeune homme a de quoi agacer. Il excelle à l’escrime, qu’il pratique au Racing, et encore plus à la voile. Tous les étés, accompagné de quelques amis, il convoie une goélette, la Damoiselle, de Toulon à Rhodes, et, vers Pâques, il lui fait traverser l’Atlantique, des Antilles jusqu’à la Méditerranée.

Admirateur de Stendhal, il prend pour modèle d’égotisme Julien Sorel, héros romantique, ambitieux et lumineux. Sa « part d’ombre » le fascine. « Quand je suis dans une église, il m’arrive de penser à l’endroit d’où il a tiré sur Madame de Rênal… J’ai des flashs comme cela », dit-il. « Fou de Racine », il connaît ses tragédies par coeur. Jeune avocat, sans craindre le ridicule, il monte les marches du Palais en déclamant des vers d’Athalie: « Oui, je viens dans son temple adorer l’Eternel… »

Combatif et chevaleresque

Pierre-Olivier Sur est de la race, en voie de disparition, des avocats littéraires. Dans une sordide affaire d’inceste, il voit un enchaînement tragique venu d’Euripide ou Sophocle. Pour chaque situation, il trouve une citation, de Voltaire ou de Dostoïevski. Evoquant son métier, l’avocat parle plus volontiers d’esthétique que d’éthique. C’est par goût du théâtre qu’il a embrassé la profession: « J’ai été séduit avant tout par la mise en scène judiciaire. »

Ses études terminées, Pierre-Olivier Sur ne rejoint pas le cabinet de son père, Bernard Sur, avocat qui a bâti sa réputation en défendant les plus grands architectes de la reconstruction: « Je ne voulais pas faire la même chose. » Il effectue son stage dans l’atmosphère presque balzacienne du cabinet d’Olivier Schnerb, près du musée de Cluny, à Paris. Ce pénaliste de la vieille école, malicieux et cultivé, lui enseigne la valeur des symboles, comme celui, « magnifique », de la robe d’avocat, formidable rempart d’immunité. Il lui dévoile les puissants mystères de la rhétorique: « Il nous apprenait à composer chaque lettre comme une oeuvre d’art. » Il lui transmet les règles chevaleresques de l’ancien Palais, que Schnerb énumère avec une pointe de nostalgie: « la vaillance dans l’effort, le jusqu’au-boutisme, la défense des faibles contre les forts, des pauvres contre les riches… » Le maître évoque avec une admiration hyperbolique les qualités morales de son disciple: « Ce qui le caractérise le plus, c’est la générosité. S’il entend appeler au secours, il aide celui qui appelle, quel qu’il soit. Il est l’exception de la maxime de Chamfort: « Ne tenir dans la main de personne, être homme de son coeur, de ses principes, de ses sentiments, c’est ce que j’ai vu de plus rare. » »

« C’est un homme de combat, confirme son ami Christophe Karvelis. Pour une cause qu’il estime juste, il peut faire des kilomètres sans se faire rémunérer. » Ainsi va-t-il défendre les délinquants dont s’occupe Guy Gilbert, le curé des loubards, qui a célébré son premier mariage à la basilique Sainte-Clotilde, apostrophant les « bourgeoises à chapeau » du faubourg Saint-Germain. « C’est de la mise en scène! Sur est un excellent démagogue qui a fabriqué sa statue », ironise un ancien de l’équipe de Christiane Féral-Schuhl, concédant cependant que « le démagogue peut se révéler un vrai bâtonnier ». Ses partisans, eux, vantent sa sincérité romantique. « Pierre-Olivier est à la fois habité et à l’écoute, ce qui est rare, souligne Loraine Donnedieu de Vabres-Tranié. Lorsque vous avez des convictions fortes, cela vous met en général des oeillères. Ce n’est pas son cas. Il sait se taire, capter, palper, comprendre… »

Pour s’en rendre compte, il faut visionner sur son blog l’extrait de Délits flagrants, le documentaire tourné en 1994 par Raymond Depardon. On y voit Pierre-Olivier Sur, en robe, écouter patiemment le témoignage embrouillé de sa cliente accusée d’un vol de voiture, lui poser les bonnes questions et lui conseiller, d’une voix douce et bienveillante: « Vous allez dire au juge que vous êtes toxicomane, séropositive, que vous n’êtes jamais allée en prison et que vous n’avez pas le permis de conduire. » En le voyant, on se dit que cet amoureux du théâtre aurait pu faire un bon comédien. Sur a raison: la vérité judiciaire est avant tout une affaire de mise en scène.

Ce qu’ils disent de lui

Charles Beigbeder, homme d’affaires: « J’aime son côté donquichottesque. Il peu paraître condescendant, mais, au fond, il ne se prend pas au sérieux. Il a le sens de l’autodérision. »

François Gibault, avocat: « Il a les qualités d’un avocat classique et celles d’un moderne. Il est conscient de nos traditions et va les défendre. Mais il exerce comme on doit le faire au XXe siècle. »

Virginie Tellenne, alias Frigide Barjot: « Il a le sens de l’amitié. Quand je me suis engagée dans mon combat, il aurait pu réagir comme beaucoup et me rejeter. Il a été courageux. Il est resté bienveillant. »

Caroline Mécary, avocate: « Il est préoccupé avant tout par sa propre image, avide de reconnaissance. Pour moi, c’est le signe d’un narcissisme défaillant. »

Guy Gilbert, prêtre et éducateur: « Il m’a aidé plusieurs fois sans jamais me faire payer. C’est un type généreux, très droit. »

Marc Guillaume, secrétaire général du Conseil constitutionnel: « C’est un homme sensible, il a du panache. Pour moi, c’est Cyrano au pays des avocats. »

Laurent Martinet, vice-bâtonnier du barreau de Paris: « Il est capable de s’entourer de gens complémentaires, différents. Il est attentif, à l’écoute. »

IL AIME

Porter la robe (d’avocat).

Voyager.

Stendhal, Racine et Dostoïevski.

Le théâtre.

La voile.

IL N’AIME PAS

Perdre.

Les perquisitions dans les cabinets d’avocats.

Les confrères qui magouillent.

Qu’on lui dise qu’il est un fils à papa.

Les moralistes.

La dureté de la loi.

Le Nouvel Observateur