Non, il n’est pas interdit de faire l’apologie de l’adultère !

Par Baudouin Eschapasse
Une association poursuivait un site de rencontre encourageant les relations extraconjugales. Les juges ne lui ont pas donné raison.

Les sites internet qui promeuvent l’adultère ont-ils le droit de faire de la publicité pour leurs services ? La Confédération nationale des associations familiales catholiques (CNAFC) avait saisi le tribunal de grande instance de Paris pour trancher cette épineuse question « morale ». Dans un jugement, rendu hier, 9 février, la présidente de la 5e chambre, Edmée Bongrand, assistée des magistrats Michel Revel et Stéphanie Vacher, a déclaré qu’il était tout à fait loisible de faire de la réclame pour un site facilitant les relations extraconjugales.

La CNAFC, qui se présente comme attachée à la « défense des intérêts spirituels, moraux et matériels des familles », avait assigné en justice la société américaine BlackDivine, qui édite le site Gleeden.com, le 22 janvier 2015. Cette plateforme internet, fondée en avril 2009, cible les époux « volages ». Le mouvement d’inspiration catholique reprochait aux dirigeants de Gleeden France d’avoir incité à la luxure en se montrant « infidèle » lors d’une campagne d’affichage, organisée notamment dans les transports publics franciliens.

Antisocial ?

Cette « ligue de vertu » entendait obtenir condamnation de la société éditrice de ce site et fermeture de son blog, mais aussi du portail internet de la marque. Elle menaçait la société BlackDivine de devoir lui payer 5 000 euros par publicité si elle ne les retirait pas sous huit jours. Plusieurs communes s’étaient inclinées, principalement dans les Yvelines. Les villes de Poissy, Rambouillet, Chatou, Saint-Germain ou encore Conflans-Sainte-Honorine avaient ainsi retiré ces publicités de leurs abris-bus.

La CNAFC réclamait également au groupe américain propriétaire de la marque Gleeden 15 000 euros de dommages et intérêts pour avoir encouragé maris et femmes à se livrer à ce que les tribunaux qualifient de « comportements injurieux ». Cette confédération d’associations entendait ainsi affirmer haut et fort que l’obligation de fidélité qui sanctionne le mariage, au titre de l’article 212 du Code civil, relevait de « l’ordre public ». Et que le fait d’inciter, par la réclame, la commission de l’adultère était non seulement illégal mais aussi et surtout antisocial.

L’adultère n’est pas un délit

Soulignant que l’adultère a été dépénalisé en 1975, que l’obligation de fidélité ne vise que les conjoints passés devant le maire, dans le cadre d’une relation n’intéressant pas les associations qui la poursuivaient, la société BlackDivine faisait valoir que la CNAFC n’avait pas son mot à dire dans le cadre d’une campagne d’affichage. Arguant de « la liberté d’expression », son avocate avait d’ailleurs souligné, lors de sa plaidoirie, que ces affiches avaient été autorisées par le jury de déontologie publicitaire, qui avait estimé que leurs slogans n’enfreignaient pas la réglementation en vigueur.

« Contrairement à l’antidépresseur, l’amant ne coûte rien à la Sécurité sociale », évoquait un poster vantant le site Gleeden, qui revendique 3 millions d’abonnés. La société BlackDivine avait même poussé le bouchon jusqu’à animer un stand lors du Salon du mariage, fin janvier 2015.

Le tribunal, tout en reconnaissant que la confédération catholique, en tant qu’« association agréée de consommateurs », avait bien qualité à saisir la justice, n’en a pas moins rejeté toutes ses demandes au motif que la campagne d’affichage n’avait rien d’illicite. À l’appui de leur décision, les magistrats relèvent que, si la fidélité dans le mariage relève bien de l’ordre public, il ne s’agit en aucun cas d’un « ordre public de direction » (qui veille à protéger l’intérêt général, NDLR) mais d’une autre catégorie d’ordre public, dit « de protection », qui vise seulement les relations privées. De l’art de couper la poire (ou plutôt la pomme, en l’occurrence) en deux.

L’avocat des associations catholiques, Me Erwan Le Morhedec, a confié à l’AFP que ce jugement était « très critiquable » et qu’il y avait là « matière à faire appel », précisant que la décision de ses clients n’était pas encore prise. Me Caroline Mécary, défenseur de la société BlackDivine, a quant à elle tweeté un message de victoire sur les réseaux sociaux.

#Viedavocate #Gleeden Victoire par KO laCNFAC déboutée intégralement. Le TGI ne s’est pas laissé tartuffier ! https://t.co/1kY3riD3tI

— caroline mecary (@carolinemecary) 10 février 2017

Le site Gleeden, « fidèle » à une ligne de conduite provocatrice, avait célébré, le 28 janvier, le nouvel an chinois à sa manière.

Bonne année ?? #NouvelAnChinois pic.twitter.com/mDtgtXf346

— Gleeden (@Gleeden) 28 janvier 2017