Mariage pour tous : la justice butte sur l’adoption des enfants nés par PMA
Leclair, Agnès
Plusieurs procureurs se sont opposés à l’adoption d’un enfant né par PMA par la conjointe dans un couple de femmes. L’application de la loi Taubira continue de faire débat.
À peine le débat sur l’ouverture de la PMA (procréation médicalement assistée) écarté, il revient sur le tapis. Cette fois, c’est la question de l’adoption des enfants nés par PMA au sein de couples de femmes qui crée la controverse. Dans plusieurs cas – quatre selon le Monde (à Marseille, à Aix-en-Provence et à Toulouse) – le procureur s’est en effet opposé à l’adoption d’un enfant né par PMA par la conjointe dans un couple de femmes. Car si la loi Taubira permet aux couples homosexuels d’adopter, la PMA n’est pas ouverte aux lesbiennes en France. Depuis la promulgation du texte, les tribunaux ont validé les adoptions d’enfant né par PMA par la conjointe de la mère biologique. Une vingtaine ont été recensés par l’inter-LGBT (Interassociative lesbienne, gay, bi et trans). Ainsi, à Toulouse, le tribunal n’a pas suivi l’avis du procureur.
La polémique sur la visée de la loi Taubira pourrait cependant enfler si les décisions des tribunaux de Marseille et d’Aix-en-Provence, attendues dans les prochaines semaines, sont conformes aux réquisitions des procureurs. «En tout, nous avons eu vent de cinq affaires où le procureur s’est opposé à l’adoption. Nous avons alerté les ministères de la famille et de la justice de cette interprétation non conforme à l’esprit de la loi Taubira et du problème que pourrait causer la disparité des décisions d’un tribunal à l’autre», fait savoir Thomas Linard, porte-parole de l’Inter-LGBT. En outre, les dossiers ne sont pas tous traités de la même façon, dénonce l’interassocaitive: «Dans certains cas, on demande l’accord des grands parents. A Paris, il y a une enquête de police systématique. Parfois le dossier passe tout seul, sans avocat. Enquête de moralité, de voisinage… Pour les parents, ces formalités sont humiliantes. La loi doit être la même pour tous et les procédures doivent harmonisées», plaide Thomas Linard.
Les couples de femmes qui veulent adopter un enfant né par PMA ont «toutes leurs chances»
«Il n’y a pas d’automaticité de l’adoption et les parquets ne se gênent pas pour émettre un avis défavorable en invoquant la fraude à la loi», explique Me Caroline Mécary. Un argument que cette spécialiste de la défense des droits des homosexuels estime facile à contrer «puisqu’il n’y a pas de texte qui interdise la PMA en France. La loi se contente de dire qui peut y avoir accès». Selon l’avocate, les couples de femmes qui veulent adopter un enfant né par PMA ont donc «toutes leurs chances». Mais ces affaires démontrent aussi qu’il y a «un vrai vide juridique dans la loi», poursuit Me Caroline Mécary. Pour sortir du flou, l’avocate considère que l’ouverture de la PMA aux couples de lesbiennes «est la seule solution».
Depuis le début du débat sur le mariage pour tous, les parlementaires de l’opposition ont pour leur part dénoncé un texte incohérent et hypocrite qui permettrait l’adoption d’enfants conçus par PMA ou par GPA à l’étranger.
«Un détournement de l’institution de l’adoption»
Si une affaire est portée devant la cour de cassation, l’adoption d’un enfant né par PMA dans un couple de femme pourrait être bloquée, estime pour sa part Aude Mirkovic, maître de conférences en droit privé à l’Université d’Evry. «La loi Taubira est bancale. Sa mise en oeuvre passe par la fabrication d’enfants adoptables. Fabriquer un enfant en le privant délibérément d’une partie de sa filiation, c’est un détournement de l’institution de l’adoption», plaide-t-elle. Dans les affaires de GPA (gestation pour autrui), il y a une jurisprudence constante de la Cour de cassation: la maternité pour autrui «réalise un détournement de l’institution de l’adoption», souligne la juriste. «Or, un enfant issu d’une insémination avec donneur est lui aussi délibérément conçu de manière à être rendu adoptable. L’adoption ne peut donc être envisagée», poursuit Aude Mirkovic.
Enfin, la juriste s’appuie sur la décision de conseil constitutionnel du 17 mai 2013: «Les sages ont reconnu que le fait d’aller à l’étranger recourir à la PMA ou la GPA en fraude à la loi française pour demander ensuite l’adoption en France constituait un détournement de la loi et qu’il appartenait aux juridictions compétentes d’empêcher, de priver d’effet et, le cas échéant, de réprimer de telles pratiques».
Du côté de la chancellerie, aucun éclaircissement, aucune circulaire ne sont actuellement évoqués. On s’en tient à rappeler qu’«aucune directive n’a été donnée par la chancellerie ni sollicitée par les parquets».
«Jusqu’à présent, nous avons eu du mal à nous faire entendre. Mais le ministère de la justice semble aujourd’hui prêt à tendre l’oreille, fait savoir le porte-parole de l’Inter-LGBT. Il faudrait une directive qui précise comment les procureurs doivent se positionner pour sécuriser les liens de filiation de ces enfants qui vivent déjà dans les familles».