Mariage de conjoints de même sexe en France: l’homo qui fâche

Sophie Tétrel
La Presse Canadienne
PARIS (AP) – En annonçant son intention de marier deux hommes le 5 juin à Bègles (Gironde), cinq ans après la création du Pacs, le chef des Verts, Noël Mamère, a rouvert un débat forcément enflammé puisqu’il ébranle les piliers de la société que sont le mariage et la filiation.

Certes l’homosexualité est dépénalisée depuis 1982 et les sondages attestent de l’évolution de l’opinion publique française, aujourd’hui majoritairement favorable au mariage homosexuel. D’ailleurs, la droite au pouvoir, après avoir tenté d’empêcher la création en 1999 du Pacte civil de solidarité (Pacs), parle maintenant de l’améliorer et de présenter « avant l’été » une loi contre l’homophobie.

Le chef de l’Etat s’est lui-même déclaré « ouvert » à un débat national sur le mariage gay. Toutefois, Jacques Chirac invoque « une loi et une tradition (…) qui ne permet pas des mariages entre deux hommes et deux femmes », et prévient les maires frondeurs qu’ils « devraient être sanctionnés conformément à la loi ». Le ministre de la Justice, Dominique Perben, a d’ailleurs demandé au procureur de Bordeaux de s’opposer au mariage de Bègles.

Le maire, Noël Mamère, a déclaré à l’Associated Press qu’il passerait outre. Si le certificat est invalidé, affirme de son côté l’un des deux futurs mariés, Stéphane, « on ira jusqu’à la Cour européenne des droits de l’Homme ».

« Le mariage est un contrat passé entre deux personnes qui s’aiment et désirent vivre ensemble. Je ne vois pas en quoi l’orientation sexuelle serait une barrière », explique Noël Mamère, soulignant que le Code civil n’interdit pas d’unir deux personnes de même sexe. Les Verts déposeront d’ailleurs le 7 juin une proposition de loi pour clarifier le Code napoléonien. Quant à l’alinéa du Code mentionnant le mari et la femme, l’avocate Caroline Mécary, du collectif pour l’égalité des droits, estime qu’il est dépassé.

La justice tranchera, mais Noël Mamère a déjà gagné son pari d’ouvrir le débat, y compris au Parti socialiste, promoteur du Pacs.

Alors que le Bureau national du PS prépare une proposition de loi pour le mariage gay, Lionel Jospin souligne que « le législateur (…) doit rechercher l’intérêt de la société tout entière » et non « automatiquement institutionnaliser les moeurs ».

Pour l’ancien premier ministre socialiste, « le mariage est dans son principe et comme institution ‘l’union d’un homme et d’une femme' », et cette définition « renvoie à la dualité des sexes (…) qui est la condition de la procréation et donc de la continuation de l’humanité ».

De même, l’archevêque de Bordeaux, Mgr Jean-Pierre Ricard, président de la Conférence des évêques de France, pense que « notre société ne saurait mettre sur le même plan l’union d’un homme et d’une femme, ouverte sur la naissance de nouveaux êtres, avec celle de deux semblables, qui ne l’est pas ». L’Eglise réformée juge inopportun aussi « d’envisager un culte de bénédiction qui entretiendrait la confusion entre couple homosexuel et hétérosexuel ».

De fait, une majorité de Français se prononcent contre l’adoption par des couples homosexuels, d’où l’idée chez certains de s’aligner sur l’exemple belge, avec un mariage gay sans droit à l’adoption.

« Reconnaître le droit à l’adoption ou à l’insémination pour les homosexuels, c’est aller contre une réalité qui est celle de l’espèce humaine », argue le ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy.

Mais Noël Mamère rappelle que des homosexuels célibataires peuvent adopter depuis 1966, s’ils dissimulent leur orientation sexuelle, et que le mariage protégerait les enfants. « Un enfant peut être aussi épanoui avec deux hommes ou deux femmes s’il est l’objet d’amour et d’attention », estime également Roger Madec, maire PS du XIXe arrondissement de Paris.

Les études réalisées aux Etats-Unis mais aussi en Europe montrent effectivement que les enfants de couples homosexuels ne sont ni plus, ni moins homosexuels ou psychologiquement perturbés que les autres. L’Association des parents gays et lesbiens évalue à 100 000 en France le nombre de familles homoparentales et au moins 200 000 celui des enfants qui y sont élevés.

Le pédopsychiatre Stéphane Nadaud, auteur d’une étude sur l’homoparentalité en France, estime que les questions que se poseront ces enfants sur leurs origines seront les mêmes que celles des autres et que l’important réside surtout « dans la façon dont on y répond ».

Cependant, Jean-Pierre Winter, psychanalyste, souligne que si la famille idéale n’existe pas, les évolutions évoquées « changent toutes les règles de la civilisation » et méritent donc « que toutes les questions soient mises à plat ».

APst/cov/JmC