Loi de bioéthique : « Les questions de l’accès aux origines et de la filiation se posent au nom des droits de l’enfant »
Dans une tribune au « Monde », l’avocate Caroline Mecary plaide pour que les enfants conçus par don puissent accéder à leurs origines et que leur filiation soit établie sur la base de l’engagement parental.
Tribune. Le 26 juillet sera présenté en conseil des ministres le projet de loi bioéthique, ouvrant notamment la procréation médicalement assistée (PMA) à toutes les femmes. Ce principe acquis, deux questions se posent alors au nom des droits de l’enfant : l’accès aux origines et la façon d’établir la filiation. Les enfants seront-ils les laissés-pour-compte de la réforme, comme ce fut le cas après l’adoption des lois de 1994 qui ont organisé l’impossibilité pour l’enfant d’accéder à sa propre histoire, ou bien leurs droits deviendront-ils au contraire la véritable boussole du législateur ?
Dans un récent entretien au Monde, la juriste Marie Mesnil plaide pour une réforme a minima de la filiation : ne rien changer pour les enfants de parents hétérosexuels et « étendre le cadre juridique actuel » aux enfants de couples de femmes, en créant une présomption de comaternité pour l’épouse de la femme qui accouche et une procédure de reconnaissance de l’enfant si les deux femmes ne sont pas mariées. Dans la perspective des droits des enfants concernés, cette proposition pose deux grands problèmes.
Premier problème : le choix de maintenir le mode actuel d’établissement de la filiation pour les enfants de parents hétérosexuels ne va pas de soi. Cette filiation est celle du titre VII du code civil, la filiation dite « charnelle ». La femme devient mère par l’accouchement, qui se constate comme un fait. L’homme devient père parce qu’on « présume » qu’il est le géniteur (présomption de paternité du mari) ou qu’il reconnaît l’être (reconnaissance par le compagnon non marié) sans vérification de la réalité procréative, sauf en cas de contentieux.
« Pseudo-filiation charnelle »
Jouant sur le fait qu’il a toujours été possible de faire passer pour le géniteur un homme qui ne l’était pas, le législateur de 1994 a choisi d’établir la filiation des enfants conçus par don selon ce titre VII. Le but, parfaitement assumé à l’époque, était de dissimuler le recours au don non seulement à l’entourage, mais aussi à l’enfant lui-même.
Aujourd’hui cette organisation par l’Etat d’une « pseudo-filiation charnelle » est très largement critiquée car non conforme à l’intérêt de l’enfant. Les personnes conçues par don témoignent des effets délétères sur leur vie d’un tel montage institutionnel de défense du secret. Elles critiquent le choix d’une filiation délibérément mensongère et s’activent pour sortir leurs familles de l’ombre où on les a reléguées.
Elles rejoignent ainsi les valeurs de « fierté du don » défendues par les mères lesbiennes qui ont fondé leur famille grâce à une PMA à l’étranger. Pour les mères lesbiennes, la dissimulation du don n’est jamais une tentation et leurs enfants ne sont pas menacés d’être spoliés de leur histoire. En revanche notre droit de la filiation n’est pas plus adéquat pour elles. L’épouse de celle qui accouche ne peut devenir la mère qu’en adoptant l’enfant qu’elle considère comme le sien.
La mère sociale devrait impérativement apporter la preuve de son consentement au don à l’officier d’état civil !
Deuxième problème : comme Marie Mesnil sait que l’adoption n’est pas une solution satisfaisante pour les couples de femmes, elle propose alors « d’étendre » à leurs enfants le « cadre juridique actuel de la filiation ». Une telle volonté d’universalité paraît séduisante au premier abord. Mais l’expression « cadre juridique actuel » est ici une formule vide, car elle vise en réalité uniquement la filiation charnelle du titre VII – érigée étrangement pour l’occasion en modèle universel.
Marie Mesnil le montre d’ailleurs elle-même à propos de la « reconnaissance » . On sait quel est son sens quand elle est faite par le compagnon de la mère : « Je reconnais être le géniteur (même si c’est faux) et j’endosse le statut de parent. » C’est pourquoi elle permet de dissimuler le recours au don. Dans le cas de la compagne de la mère, rien de tel. Au contraire, la reconnaissance signifierait : « Je reconnais que j’ai consenti à un don et j’endosse le statut de parent. » Marie Mesnil précise même que, pour qu’elle soit valable, la mère sociale devrait impérativement apporter la preuve de son consentement au don à l’officier d’état civil ! On ne peut dire plus clairement que, sous le même mot, il s’agit en réalité de deux modalités totalement différentes.
Victime d’un récit falsifié de leur histoire
Pourtant, nous avons le souci aujourd’hui de garantir à tous les enfants conçus par don un véritable droit commun de la filiation, assorti de nouveaux droits : celui de ne pas être victime d’un récit falsifié de leur histoire (pour les enfants d’hétérosexuels) et celui, pour tous les enfants conçus par don, de pouvoir accéder à leurs origines, s’ils le souhaitent, à leur majorité. Un droit plébiscité aujourd’hui par 75 % des Français, selon un sondage réalisé en mai par l’IFOP.
Marie Mesnil ne s’en préoccupe pas, car elle n’est pas favorable à l’accès aux origines, y voyant le risque d’une biologisation de la filiation. Mais qui en est encore là ? Contrairement à ce qu’elle affirme, les personnes conçues par don qui revendiquent l’accès à l’identité de leur donneur ou donneuse ne cherchent ni des « parents », ni une « généalogie ».
Ce qu’elles exigent, en revanche, c’est qu’on cesse de leur interdire de pouvoir identifier des liens de consanguinité aussi proches que ceux qui existent entre elles et leur donneur ou les enfants issus du même donneur qu’elles. Au regard des droits de l’enfant, on ne voit pas comment l’Etat continuerait à leur refuser l’accès à une telle information, et, qui plus est, sous le prétexte fallacieux que, peut-être, elles pourraient se tromper et les prendre pour des parents !
L’enjeu des débats sur la filiation n’est pas le même que celui sur l’accès aux origines. Mais ils forment un tout. Il s’agit pour notre société de reconnaître enfin que les familles issues de don existent et d’assurer à tous les enfants la plénitude de leurs droits. En proposant d’instituer, entre le titre VII du code civil (filiation charnelle) et le titre VIII (filiation adoptive), un nouveau titre VII bis, la « filiation par déclaration de volonté », le préprojet de loi innove de façon très convaincante.
Ce serait désormais sur la valeur reconnue à l’engagement parental que reposerait la filiation de tous les enfants conçus par don, que leurs parents soient célibataires ou en couple, mariés ou non mariés, de sexe différent ou de même sexe. L’égalité entre tous les enfants dans l’accès à leur histoire serait alors assurée.
Caroline Mecary est l’auteure de « PMA et GPA » (PUF, « Que sais-je ? », 128 p., 9,90 euros)