L’homoparentalité dans les mains de la Cour européenne des droits de l’homme

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Nathalie D., mère biologique d’Anaïs, veut obtenir que sa compagne puisse adopter l’enfant.

Marie-Joëlle Gros; Catherine Mallaval

C’est une histoire qui part de Clamart et pourrait connaître, après près de dix années, une forme de happy end à Strasbourg. Demain, la Cour européenne des droits de l’homme dira si Anaïs (le prénom a été modifié), 12 ans, peut espérer être adoptée par la compagne de sa mère. Et donc avoir deux parents, comme n’importe quel enfant. Même s’il s’agit de deux femmes.

Nathalie D., 50 ans, sa mère biologique, l’a mise au monde après une insémination avec donneur anonyme en Belgique; Valérie G., 45 ans, est sa compagne. C’est ensemble qu’elles ont voulu cette enfant. Et c’est ensemble qu’elles l’élèvent. Ensemble encore qu’elles ont écumé en vain les tribunaux avec un seul objectif : permettre à Valérie d’adopter Anaïs. Sa demande, une adoption simple (1) qui lui permettrait de transmettre à Anaïs son nom de famille, son patrimoine et autoriserait un vrai partage de l’autorité parentale. Afin d’être, à égalité avec Nathalie, l’interlocutrice du collège, du médecin, etc.

Faute d’assurer cette égalité, la France risque d’être condamnée, demain, par la Cour européenne, pour «discrimination». Au nom de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme qui veille au respect de la vie privée et familiale, et de l’article 14 interdisant toute forme de discrimination (sexe, race, religion, etc.).

Blackbouler. Pour l’instant, la France n’autorise l’adoption qu’aux couples mariés (art. 365 du code civil). Et comme le mariage gay n’existe pas, les couples homos sont d’office mis hors jeu. C’est peu dire que Nathalie, mère au foyer, et Valérie, psychologue, croisent les doigts. Comme les 175 000 couples homosexuels français (et au moins autant d’enfants) qui, depuis des années, se font systématiquement blackbouler par tous les tribunaux de l’Hexagone.

Mais si la Cour européenne jette l’éponge ? «Si je ne gagne pas, souligne Caroline Mécary, l’avocate de ce couple de femmes, seul un changement législatif en France pourra résoudre la situation. Et ce ne sera possible qu’avec la victoire d’un candidat de gauche, Sarkozy s’étant prononcé contre l’évolution des droits des homos. Or, l’enjeu est de taille : il s’agit de la protection des enfants. On est forcément beaucoup mieux protégés quand on a légalement deux parents plutôt qu’un seul.»

C’est au nom de cette protection que l’avocate a décidé de guerroyer jusqu’à Strasbourg. Une première pour ce genre de dossier. Le combat avait pourtant commencé classiquement. 2005 : première demande d’adoption simple devant le tribunal de grande instance de Nanterre. Retoquée. Nouvelle tentative devant la cour d’appel de Versailles. Encore ratée. Reste, logiquement, à se pourvoir en cassation. Mais, en juin 2007, l’avocate bifurque et décide de s’en remettre directement à l’instance européenne. Car entre-temps, la plus haute instance française a rendu deux arrêts de principe (cinq à ce jour) rendant impossible tout espoir d’adoption simple par des couples homos. «C’est pour cela, explique Caroline Mécary, que j’ai préféré m’en remettre à Strasbourg, l’organe judiciaire suprême qui veille à la bonne application de la Convention européenne des droits de l’homme par les Etats membres.»

Août 2010 : Strasbourg juge la requête recevable. Et fixe une audience publique (fait rare) au 12 avril 2011. L’affaire est de taille : le gouvernement français missionne dix-huit fonctionnaires à Strasbourg. Anne-Françoise Tissier, sous-directrice des droits de l’homme (au ministère des Affaires étrangères), plaide. Elle enfonce le clou sur le mariage, et rappelle que dans l’esprit du législateur, l’union conjugale reste «le cadre le plus protecteur de l’enfant», avant d’invoquer une question sociétale dépassant la cour : «La possibilité pour un enfant d’avoir une filiation établie uniquement à l’égard de deux femmes ou de deux hommes est un bouleversement sociétal de la conception séculaire de la famille fondée sur une appréciation de l’intérêt supérieur de l’enfant[…]. De tels changements ne peuvent être avalisés que par le Parlement.»

Espoir. En face, des ONG ont demandé à être tiers intervenant. Dont la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH), l’ European Region of the International Lesbian, Gay, Bisexual, Trans and Intersex Association (Ilga-Europe)… Le dossier mobilise. Avec l’espoir que l’heure est venue : «Désormais, onze pays européens permettent l’adop tion simple au parent social d’un couple homo (Allemagne, Belgique, Espagne…), explique Me Mécary. Et la Suisse et le Luxembourg sont en train de modifier leur législation pour permettre cette forme d’adoption. Cela veut dire qu’aujourd’hui en Europe, il existe un consensus sur le fait que l’intérêt de l’enfant doit prévaloir sur des considérations morales concernant la sexualité de ses parents. »

(1) A la différence d’une adoption plénière, elle ne supprime pas les liens de filiation originels.