Gestation pour autrui à l’étranger: la France une nouvelle fois condamnée

mediapart

Aurélie Delmas
Paris – Comme en 2014, la Cour européenne des droits de l’homme vient de condamner la France pour avoir refusé de transcrire à l’état civil les actes de naissance de trois enfants nés en Inde de pères français et de « mères porteuses » .

La gestation pour autrui (GPA) étant interdite en France, de nombreux couples y ont recours à l’étranger. Sauf que jusqu’à présent, les autorités françaises refusaient quasi systématiquement de retranscrire dans les registres d’état civil les actes de naissance des enfants nés à l’étranger dans le cadre d’une GPA, même légale. La cour se prononçait ce jeudi sur les affaires Foulon et Bouvet, des noms de deux ressortissants français qui ont eu recours à des « mères porteuses » en Inde.

Et comme ce fut déjà le cas en 2014 (arrêts Mennesson et Labassée), la France vient d’être une nouvelle fois condamnée ce jeudi 21 juillet par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour cette pratique qui contrevient à l’intérêt de l’enfant ( voir l’arrêt ici ). Si la décision n’est pas franchement une surprise, elle montre que la justice européenne prête une attention particulière à ce qui se passe en France et qu’elle n’hésite pas à multiplier les rappels à l’ordre. Condamnée à verser 15 000 euros aux familles au titre des frais de procédure, et 5 000 euros à chaque enfant, la France dispose de trois mois pour demander un nouvel examen de l’affaire par la Grande Chambre de la cour. Une démarche qu’elle n’avait pas entreprise en 2014.

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La CEDH se prononçait ce jeudi sur deux requêtes : celle de Didier Foulon et sa fille, née à Bombay d’une mère indienne en 2009, et celle de Philippe Bouvet dont les deux enfants jumeaux sont nés en 2010 dans les mêmes conditions. En 2013, la Cour de cassation avait dans les deux cas validé la décision de la cour d’appel refusant de reconnaître les actes de naissance établis en Inde, en raison d’une « fraude » à la loi française.

L’avocate des deux familles, dont les cas étaient examinés à Strasbourg, Caroline Mecary, se félicite d’ « un coup de semonce qui est envoyé à la France » , à l’issue de sept années de procédure. « Les familles sont tout à fait satisfaites. La CEDH reconnaît que leurs enfants ont bel et bien été victimes d’une violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme . Elles en appellent désormais au garde des Sceaux pour une exécution rapide de la décision » , a-t-elle expliqué à Mediapart, rappelant que dans les cas tranchés en 2014, la France n’avait toujours pas pris les dispositions nécessaires.

Dans l’arrêt, rendu à l’unanimité, la CEDH ne revient absolument pas sur le fait que la GPA – soit le fait de recourir à une mère de substitution pour porter un enfant – est interdite en France . « Tout cela ne modifie en rien l’interdiction qui existe en France » , balaie l’avocate qui ajoute que « la question de la GPA doit concerner quelques centaines de couples de Français par an » .

En revanche, la cour estime que le refus de reconnaître la filiation biologique d’un enfant constitue une violation de son droit au respect de la vie privée et familiale. « Dans certains pays, la GPA est parfaitement légale. Alors certes les États peuvent interdire la GPA, mais ils ne peuvent pas empêcher les gens de circuler, ni faire comme si un enfant n’existait pas » , analyse l’avocate. L’Association des familles homoparentales (ADFH) va dans le même sens, expliquant dans un communiqué que « reprocher à un bébé ses conditions de naissance pour lui accorder plus ou moins de droit est une indignité nationale. Bafouer le droit à ce point, nier les conventions internationales de protections de l’enfance sont autant d’infractions qui ne trouvent des explications que dans des postures électoralistes bancales » , a réagi l’association.

La France, en effet, a toujours rechigné à avancer sur ce sujet politiquement explosif depuis les débats qui ont entouré l’adoption du mariage pour tous . La publication en janvier 2013 d’une circulaire dite « Taubira » permettait aux enfants nés de mères porteuses à l’étranger d’un parent français de se voir délivrer un certificat de nationalité française, mais pas de les inscrire à l’état civil.

Puis en juin 2014, la CEDH a pris une position similaire à l’arrêté de ce jeudi concernant deux autres cas : les arrêts Mennesson et Labassée, des noms de deux couples hétérosexuels ayant eu recours aux services d’une mère porteuse aux États-Unis. Pourtant dès le mois d’octobre de la même année, Manuel Valls promettait dans La Croix que la France ne bougerait pas une oreille. « Le gouvernement exclut totalement d’autoriser la transcription automatique des actes étrangers, car cela équivaudrait à accepter et normaliser la GPA. J’ajoute qu’il est incohérent de désigner comme parents des personnes ayant eu recours à une technique clairement prohibée… tout en affirmant qu’ils sont responsables de l’éducation des enfants, c’est-à-dire chargés de la transmission de nos droits et de nos devoirs » , avait déclaré le premier ministre.

En juillet 2015, pour la première fois, la Cour de cassation a suivi la CEDH et rendu un arrêt précisant qu’ « une GPA ne justifie pas, à elle seule, le refus de transcrire à l’état civil français l’acte de naissance étranger d’un enfant ayant un parent français » . Un revirement que la France a tenté d’utiliser pour demander à la CEDH de rayer les affaires Foulon et Bouvet, pour lesquelles elle avait déjà tenté un arrangement à l’amiable . Ce que la cour a refusé de faire, estimant que « des interrogations subsistent quant à la situation des enfants nés à l’étranger d’une gestation pour autrui lorsque, comme en l’espèce et dans ces deux affaires, les juridictions françaises ont rendu une décision définitive […]. La procédure relative à l’exécution des arrêts Mennesson et Labassée est du reste toujours pendante devant le Comité des ministres du Conseil de l’Europe » , a souligné la CEDH, répétant ainsi que la situation des deux couples n’est toujours pas réglée. En clair, « les familles qui ont été à l’origine des évolutions juridiques ont une jolie condamnation de l’Europe en leur faveur, mais pas de recours pour ouvrir une nouvelle procédure civile » , pointe un juriste.

« Le discours officiel de la France est qu’elle respecte les arrêts Mennesson et Labassée. Mais, malgré la jurisprudence de juillet 2015, le parquet de Nantes continue de refuser des transcriptions » , assure Caroline Mecary. « C’est quand même malheureux qu’il faille aller à la CEDH pour que la France, qui symbolise les droits de l’homme, applique le droit. Un tel comportement, c’est une forme de « voyoucratie » inadmissible » , s’emporte l’avocate qui estime que l’Hexagone fait figure de mauvais élève : « L’Espagne, qui avait la même pratique, a pris une circulaire après les arrêts Mennesson et Labassée qui imposait la transcription des états civils. »

Par ailleurs, les actes de naissance des dossiers Foulon et Bouvet mentionnant le père biologique et la mère porteuse, la décision rendue ce jeudi ne dit rien de la place des parents dits d’ « intention » (le conjoint ou la conjointe du parent biologique, par exemple). Un débat qui pourrait bien trouver sa place dans l’actualité des prochains mois.