ENTRETIEN : CAROLINE MÉCARY

Avocate au barreau de Paris, spécialiste en droit de la famille, Caroline Mécary travaille sur la question des droits des homosexuels depuis 1997. Elle nous donne son interprétation des trois arrêts rendus par la Cour de cassation le 8 juillet dernier (v. ég. infra n o 4).

RJPF :

Que pensez-vous de ces trois décisions ?

C. Mécary :

L’arrêt qui a censuré les juges du fond pour avoir refusé d’accorder l’ exequatur à un jugement étranger prononçant l’adoption d’un enfant par la compagne de sa mère biologique constitue une avancée considérable car elle aboutit à reconnaître qu’un enfant peut avoir juridiquement deux parents de même sexe. Pour la première fois, la Cour de cassation considère que l’homosexualité est indifférente au regard de la parenté, elle ne heurte plus la conception française de l’ordre public international. L’attendu de principe le montre bien : ce qui importe, c’est la protection pleine et entière de l’enfant, assurée en l’espèce par une adoption qui permet aussi le partage de l’autorité parentale entre la mère biologique et l’adoptante de l’enfant. Que l’article 365 du Code civil français ne permette pas d’aboutir à ce résultat est indifférent car la décision étrangère, elle, y parvient. Cet arrêt est à rapprocher de la décision du même jour ayant transmis au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité portant sur cet article 365. Ce renvoi montre que la Cour de cassation considère comme sérieux et potentiellement fondé le fait que ce texte crée une discrimination à l’égard des couples de concubins ou de pacsés puisqu’en cas d’adoption simple de l’enfant par le compagnon ou la compagne du parent biologique, celui-ci se retrouve privé de l’autorité parentale, alors que cette perte n’existe pas dans les couples mariés.

RJPF :

La Convention européenne des droits de l’homme a-t-elle exercé une influence ?

C. M. :

Oui, je le pense. Je suis convaincue que la CEDH aurait jugé que le refus d’exequatur de ce jugement d’adoption américain, qui crée donc un droit pour l’enfant, aurait été contraire aux dispositions de l’article 8 de la Convention, conformément à son arrêt Wagner du 28 juin 2007. De la même manière, j’ai la ferme conviction que l’article 365 du Code civil viole le principe de non-discrimination et le droit de mener une vie privée et familiale, et ce d’autant que la CEDH vient de reconnaître dans un arrêt Schalk du 24 juin 2010 qu’un couple de deux hommes peut prétendre au droit à la vie familiale au sens de la Convention. C’est sans doute également l’avis des magistrats de la Cour de cassation, qui ont très certainement anticipé la position de la CEDH dans les deux décisions évoquées.

RJPF :

Que penser de la troisième décision, qui refuse une délégation partage de l’autorité parentale ?

C. M. :

Vous avez raison de faire état de ce troisième arrêt rendu aussi le 8 juillet 2010 car je crois qu’il faut décrypter ces trois décisions ensemble. Dans ce dernier arrêt, qui est un arrêt d’espèce à la différence de celui sur l’ exequatur , la Cour de cassation semble dire que la voie de la délégation d’autorité parentale n’est pas la réponse adéquate aux questions juridiques que posent les familles homoparentales. La bonne voie, c’est l’ouverture de l’adoption par le parent social, seule solution satisfaisante pour protéger pleinement les enfants, qui autrement subissent une discrimination, si l’on compare leur situation avec celle des enfants qui ont juridiquement deux parents, lorsqu’ils sont de sexe différent.