Droits des homos: les associations épinglent Dominique Baudis

mediapart

Ellen Salvi
Paris – Première rencontre avec les associations LGBT (Lesbiennes, Gays, Bi et Trans) et premières difficultés pour le Défenseur des droits . Le 15 septembre dernier, Dominique Baudis et ses adjointes fraichement nommées (Maryvonne Lyazid, adjointe à la mission lutte contre les discriminations et pour la promotion de l’égalité, Marie Derain, Défenseur des enfants et Françoise Mothe, adjointe à la Mission déontologie de la sécurité), réunissaient le Comité LGBT qui regroupe une vingtaine d’associations et de collectifs engagés dans la lutte contre les discriminations homophobes et transphobes. Objectif: offrir à ces derniers l’occasion de s’exprimer sur leurs principaux sujets d’intérêts et de mobilisation, tout en présentant les enjeux de la nouvelle institution.

Au-delà d’une première prise de contact, le Comité LGBT entendait profiter de cette réunion pour mesurer l’indépendance du Défenseur des droits et lui demander de se positionner sur des thématiques qui n’en finissent pas de diviser la classe politique: l’identité de genre , le mariage homosexuel et l’homoparentalité .

« Il n’y avait plus eu de réunion depuis un an , indique le porte parole de l’ APGL (Association des parents et futurs parents gays et lesbiens), Mathieu Nocent. À l’époque, Mme Bougrab s’était saisie d’un certain nombre de questions LGBT. Nous attendions que M. Baudis poursuive le travail engagé, qu’il dise si oui ou non, le mariage entre personne de même sexe ou la non reconnaissance du « parent social » sont des discriminations. Mais il s’est retranché derrière un manque de moyens et de temps pour éviter de se prononcer sur des sujets avec lesquels il n’est visiblement pas à l’aise. »

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Même déception pour le président du Comité IDAHO , Louis-Georges Tin, qui dénonce un « recul évident » vis-à-vis des engagements de l’ancienne Halde. « M. Baudis a botté en touche sur tous les sujets en disant que ce n’était pas à l’ordre du jour. Il n’arrêtait pas de répéter : « On verra ». Sa position, ou plutôt son absence de position, trahit à l’évidence un manque de courage politique » , explique M. Tin qui voit dans le mutisme du Défenseur des droits la preuve de son manque d’indépendance. « Quelle que soit la position qu’il prendra, elle sera difficile à tenir car soit il se fâchera avec les associations avec lesquelles il doit travailler soit il se heurtera aux positions de son parti, l’UMP. Vu la façon dont il s’est défilé sur les sujets les plus délicats, on voit tout de suite qu’il redoute de déplaire au prince. »

Un immobilisme qui ne surprend guère l’avocate Caroline Mécary , spécialisée dans la défense des droits des homosexuels: « Que peut-on attendre de quelqu’un qui a été choisi par le président ? La position de M. Baudis sur les questions LGBT sera forcément conforme à celle de Nicolas Sarkozy. Il me semble assez clair qu’il n’ouvrira pas la boîte de pandore et qu’il se dépêchera d’enterrer les sujets qui gênent. C’est assez regrettable quand on sait qu’il devrait avoir une analyse objective et non politique. »

« Nos craintes se sont confirmées »

Il n’aura pas fallu longtemps pour que la question de l’indépendance du Défenseur des droits, principale inquiétude de ceux qui s’opposaient à la fusion des cinq autorités (le médiateur de la République, le défenseur des enfants, la Commission nationale de déontologie de la sécurité et la Haute autorité de lutte contre les discriminations), soit de nouveau pointée du doigt. D’autant que les nominations des membres des trois collèges , annoncées au cÅ?ur de l’été, n’ont guère rassuré les associations LGBT. Sur les 21 personnes désignées par les corps de l’État, figurent six élus étiquetés à l’UMP et pas un de l’opposition.

Parmi ces élus de droite, les associations LGBT se sont notamment inquiétées de la nomination du maire de Colmar, Gilbert Meyer, qui considère que « la cellule familiale traditionnelle constitue le fondement de notre société » . Contacté par Mediapart, ce dernier ne comprend pas en quoi ses prises de position « qui remontent à vingt ans » posent problème: « Nous sommes dans une démocratie, toutes les opinions peuvent s’exprimer. »

M. Meyer, qui se dit « catholique pratiquant » , confie être personnellement contre le mariage homosexuel et l’homoparentalité: « Je ne m’aligne pas sur les positions LGBT et je ne les défendrai pas. Je pourrais toutefois les accepter si telle est la volonté du Défenseur des droits. Je me range toujours à la majorité. » « Nos craintes se confirment , regrette Mathieu Nocent de l’APGL. L’orientation politique du Défenseur des droits et de son équipe s’est clairement exprimée: ils ne se prononceront pas sur des sujets aussi sensibles avant les présidentielles. »

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Et pourtant, prendre position sur de tels sujets fait partie des nouvelles missions du Défenseur des droits. « Il doit conseiller le législateur sur les réformes à mener , rappelle Gilles Bon-Maury, président d’Homosexualité et socialisme. Dominique Baudis, qui a voté contre le Pacs en 1998 en tant que député UDF et qui appartient à une famille politique qui n’a pas fait bouger d’un centimètre le droit des personnes LGBT depuis qu’elle est aux responsabilités, ne sera pas en mesure de remplir cette mission. »

« Il faudra pourtant bien qu’il la remplisse! , soutient Emmanuel Blanc, président de Gaylib, club associé à l’UMP. Sans faire de procès d’intention, il apparaît assez clair que cette rencontre n’était pas préparée. Je n’ai aucune idée sur les positions de M. Baudis quant aux sujets LGBT car je crois que lui-même n’en a pas. Mais avec le rôle qu’il a accepté, il lui revient de s’en saisir immédiatement. Et je ne lui conseillerais pas d’attendre les élections présidentielles pour le faire. »

« Malhonnêteté intellectuelle »

La prochaine réunion du Comité LGBT se tiendra au mois de mars 2012. « D’ici-là rien ne va avancer » , déplore Mathieu Nocent. Un avis partagé par Gilles Bon-Maury qui doute sérieusement que le candidat Sarkozy investisse la thématique dans la campagne 2012, vu le manque d’investissement de la majorité sur les sujets LGBT et l’agressivité dont la droite populaire a fait montre dans les récents débats sur le mariage homosexuel ou l’identité de genre.

« Au mieux, le président inventera une petite bulle comme il avait essayé de le faire avec l’union civile et le Défenseur des droits suivra , poursuit M. Bon-Maury . Compte tenu du personnage et de la façon dont il a été nommé, il n’y a aucune raison d’espérer que Dominique Baudis nous aide à démontrer que le chef d’État est en retard sur le terrain de l’égalité des droits entre homosexuels et hétérosexuels. »

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Pourtant, du côté du Défenseur des droits, la question des échéances présidentielles ne se pose pas. « Dominique Baudis veut travailler sérieusement, sans être dans les enjeux politiques , indique Jamel Oubechou, directeur de la promotion de l’égalité chez le Défenseur des droits, qui rappelle que l’institution a d’ores et déjà prévu un groupe de travail sur l’emploi/LGBT qui démarrera en octobre. Un groupe plus « facile » à mettre en place car portant sur le seul champ de l’ancienne Halde.

« Les autres sujets relèvent d’autres autorités comme le Défenseur des enfants , précise M. Oubechou . Le travail intellectuel et juridique est lourd. Nous ne sommes pas en mesure, dans une institution si jeune, avec des problématiques si différentes, d’apporter des réponses de but en blanc. » Un raisonnement qui laisse perplexe Caroline Mécary qui n’y voit qu’une « malhonnêteté intellectuelle incommensurable » : « À supposer que l’argument soit valable, il ne prouve qu’une chose: il ne fallait pas fusionner les différentes autorités. »

Contrairement à ce que laisse penser le communiqué du Défenseur des droits qui s’est félicité de sa prise de contact avec le Comité LGBT, la toute première réunion thématique de l’institution a surtout permis de mettre en lumière les paradoxes de cette dernière. Certes, il faudra du temps à Dominique Baudis pour organiser ses équipes, prendre position publiquement et prouver par les faits son indépendance. Des semaines peut-être, des mois plus probablement. Mais d’ici-là, les candidats aux présidentielles se seront déjà exprimés sur les questions qui fâchent. Et les avis du Défenseur des droits arriveront après la bataille.