A la télévision, ces autres chroniqueurs qui ferraillent contre l’islamophobie

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Khedidja Zerouali
Paris – L’obsession de la télévision pour l’islam ne date pas de l’agression d’une femme portant le voile par un élu du Rassemblement national. Pourtant, certains chroniqueurs classés à gauche par les productions continuent de courir les plateaux pour tenter d’apporter la contradiction.

Scène banale sur le plateau des « Grandes Gueules » . Zohra Bitan, chroniqueuse dans l’émission diffusée sur RMC, analyse l’agression d’une mère qui porte le voile par un élu du Rassemblement national lors d’une sortie scolaire à l’aune de la couleur de son foulard. « L’habit noir ample a une connotation et une signification. La République, par la voix de ses élus, y compris [La République] en marche, se met à genoux et défend l’indéfendable. À moins que cette femme ne connaisse pas la signification de ce qu’elle porte » , assène-t-elle.

Le co-présentateur, Olivier Truchot, surenchérit en affirmant que cette situation est « ambiguë » puisque le voile est interdit à l’école et non lors des sorties scolaires, avant de citer le ministre de l’éducation qui estime que « le voile n’est pas souhaitable » . Excédé par ce qu’il entend en plateau, Anasse Kazib, cheminot et chroniqueur, prend la parole : « C’est incroyable, maintenant, c’est la couleur du voile qui indique… » Il est coupé par la chroniqueuse qui s’exclame : « C’est le salafisme, c’est l’islamisme ! » Dans cet espace violent, certains chroniqueurs, classés à gauche par les productions, ont décidé de se battre. Quitte parfois à cautionner un système où ils sont minoritaires.

Après avoir été pendant trois ans chroniqueur dans l’émission de France 2 « On n’est pas couché » , Aymeric Caron est depuis cette rentrée chroniqueur salarié chez LCI, à 9 heures, dans l’émission d’Olivier Galzi. Il reconnaît un glissement raciste et islamophobe à la télévision, qu’il explique par le fait qu’une certaine partie de la gauche a abandonné la lutte antiraciste : « Sous la pression d’une certaine gauche vallsiste, il y a eu une autorisation à l’islamophobie. Tant que c’était l’extrême droite qui le disait, c’était classique. Là, tout d’un coup, une partie de la gauche porte une responsabilité énorme, avec Caroline Fourest, Élisabeth Badinter ou le philosophe qui est intervenu à l’université d’été de La France insoumise . »

Aymeric Caron, comme les autres personnes interrogées, concentrent leurs critiques sur la chaîne CNews. Or, à y regarder de plus près, LCI, la petite soeur de TF1, n’a rien à envier à la chaîne de Bolloré en termes de durcissement de la parole islamophobe, ainsi que l’ont documenté Les Inrockuptibles . « Sur LCI, je ne me défausse pas. J’ai sincèrement le sentiment que c’est plus équilibré que sur les autres chaînes, mais peut-être que je me trompe, car je ne suis pas rivé à l’antenne » , se justifie le journaliste végane.

Sur la reprise en intégralité du discours d’Éric Zemmour, pourtant condamné pour provocation à la haine raciale, Aymeric Caron défend son nouvel employeur : « Il se révèle vraiment, c’est du Zemmour de A à Z, et du coup, c’est le scandale. Il faut voir le bon côté des choses. »

Il poursuit en expliquant qu’il existe une différence entre inviter Éric Zemmour, « mais alors comme un militant politique de l’extrême droite, c’est même nécessaire si c’est pour démonter ce qu’il dit » , et lui laisser cette position de commentateur politique que lui offre CNews , alors que, selon le journaliste, « il n’est plus un thermomètre, mais un acteur de cette vie politique » .

Récemment invité dans l’émission du polémiste plusieurs fois condamné, le journaliste dit avoir refusé : « CNews nous l’impose comme un interlocuteur très fréquentable avec qui on discute de l’actualité comme si de rien n’était, c’est dégueulasse au possible. »

Pour l’avocate Caroline Mécary, « à la télévision, l’islam, c’est le diable, le nouveau repoussoir » .

Le 20 septembre, sur le plateau de « L’Heure des pros » , émission de débat sur CNews orchestrée par Pascal Praud, la limite a été franchie selon elle et la chroniqueuse a depuis quitté l’émission. Le débat portait sur le procès de Jean-Luc Mélenchon. Le ton est monté entre l’animateur et deux de ses chroniqueuses.

Caroline Mécary relève ces derniers mois, dans l’émission et plus généralement sur les chaînes d’information en continu, l’expression d’une islamophobie décomplexée. Pour elle, ce tournant a aussi été impulsé par le gouvernement : « C’est facile de désigner l’islam et le port du voile pour ne pas regarder les défaillances de l’État-providence, pour ne pas se poser les questions sociales. Il s’agit de coloniser les esprits avec des thématiques de l’extrême droite. On fait peur et on peut, du coup, appeler à l’ordre en permanence et cette logique vient s’adosser aux rengaines néolibérales, ça va ensemble. »

Un tournant dans la communication gouvernementale, du président au ministère de l’éducation nationale qui participe à « donner le ton médiatique » , à en croire Anasse Kazib. Cheminot et syndicaliste, il est depuis 2018 l’invité régulier des médias. D’abord, pour s’exprimer sur la grève à la SNCF. Puis, RMC le repère et fait de lui un chroniqueur régulier, payé, pour l’émission « Les Grandes Gueules » . Depuis un an, il y intervient trois fois par mois.

« « Les Grandes Gueules » ça fonctionne avec la situation politique. Si Blanquer n’avait pas dit que le voile n’était pas souhaitable, « Les Grandes Gueules » n’en auraient pas parlé. Si Castaner ne fait pas sa liste de signaux, « Les Grandes Gueules » ne vont pas l’inventer. Est-ce qu’il y a une volonté de faire beaucoup sur l’islam ? Je ne pense pas, c’est lié à la manière dont les gouvernants donnent le ton médiatique. »

Parler des conditions de travail des cheminots, des vagues de licenciements dans le privé et le public, de la précarité de certains travailleurs apporte au syndicaliste des réactions beaucoup moins nombreuses que lorsqu’il parle d’islam : « La question du voile, la question islamique fait réagir. Sur Twitter, j’ai gagné 1 500 abonnés en 24 heures. Je n’arrive pas à lire tous les messages. Des gens m’insultent, d’autres me remercient. Pourtant, même si je suis musulman, je refuse d’être identifié comme un défenseur de la religion. Ce n’est pas mon cheval de bataille. Je suis un militant ouvrier anticapitaliste. »

D’ailleurs, à la télévision, l’étiquette importe beaucoup. Parmi nos sources, un chercheur, une avocate, des militants, un journaliste… Et cela a son importance dans la position occupée sur le plateau.

Béligh Nabli est directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), maître de conférences en droit public à l’université Paris-Est Créteil et auteur récemment publié chez Dalloz. Cravate sur chemise bleu clair, veste noire cintrée, il s’apprête, après notre entretien, à se rendre sur le plateau de BFM, « toujours en qualité de chercheur » , précise-t-il. Cependant, dans un passé pas si lointain, il lui arrivait d’enfiler un autre costume, celui de polémiste. Il a été chroniqueur régulier dans l’émission phare de Pascal Praud, « L’Heure des pros » . Il n’a jamais été rémunéré.

Puis, il y a un an, lui aussi quittel’émission, « parce que , dit-il, je ne pouvais plus développer mes arguments, l’émission s’était trop dégradée, on allait vers toujours plus de buzz » . Il développe : « Au départ, ce qui m’a amené à avoir une vie extra-universitaire, c’est un engagement dans le débat d’idées. Avoir une formation d’universitaire, ça me permet quand même de ne pas dire n’importe quoi. On est attaché aux faits et aux sources. »

Quand on lui fait remarquer que les journalistes aussi sont attachés aux faits et aux sources, il lève les yeux au plafond. « J’en connais beaucoup et croyez-moi que parfois… » , avant de reprendre le cours de ses idées. En effet, dans « L’Heure des pros » , sur l’islam comme sur d’autres thématiques, il incombe souvent aux chercheurs de revenir sur le terrain des faits.

Dans cette foire d’empoigne, pour être entendu, il faut parler fort ou parler bien, c’est-à-dire avec les codes en vigueur. Béligh Nabli explique alors que sa cravate, le choix de ses mots, de sa posture sont aussi ceux d’un chercheur. C’est sous cette étiquette qu’il souhaitait être reconnu. Pourtant, doucement, ça glisse et il est identifié non plus comme l’intello mais aussi, puis surtout, comme « l’Arabe » .

« IvanRioufol [chroniqueur au Figaro , proche de la droite radicale – ndlr], par exemple, me respectait parce que je portais sur moi tous les codes du monde universitaire. Dans ce jeu de rôle, je ne représentais pas la figure classique de l’enfant d’immigrés des années 1990 issu du monde associatif ou militant des quartiers. Moi, je n’ai aucun cliché sur les gars de banlieue, au contraire. Mais eux, ils en ont, de nombreux, et qui sont bien ancrés. Précisément, il y avait un plaisir à ne pas y correspondre. Puis peu à peu, Pascal [Praud] se tournait vers moi tout le temps quand il s’agissait d’islam. Je suis passé du chercheur à l’Arabe. »

En réponse à cette mise en scène permanente, le chercheur a co-fondé Chronik , qu’il présente comme « un collectif d’essayistes, de chercheurs, d’artistes engagés dans le débat d’idées » .

Pour Caroline Mécary aussi c’est l’étiquette qui jouait, celle d’avocate : « Ils aiment dire que je suis avocate. Et c’est vrai que c’est une profession réglementée qui donne un certain regard sur la société, on est très en prise avec le monde dans lequel on vit. Je suis d’abord connue pour avoir été l’avocate des luttes LGBT. J’ai commencé à être invitée pour parler de ces questions-là, mais j’avais aussi envie de parler d’autres choses. »

Elle raconte que peu à peu, toute avocate qu’elle est, elle a été rattrapée sur le plateau par le sexisme : la parole coupée sans cesse, plus aux femmes qu’aux hommes, et hors plateau, les discussions uniquement entre mâles, comme nos confrères d’ Arrêt sur images l’avait déjà documenté.

Ne pas leur laisser la place

« Ce qu’ils cherchent, c’est d’abord le clash , analyse Béligh Nabli. Sur un plateau où toutes les opinions se valent, la promotion est faite aux idées les plus radicales à cause de cette logique implacable de la course à l’audience. » Le pire, raconte le chercheur, c’est que, hors caméra, les chroniqueurs entretiennent des relations cordiales. Ce qui contraste avec l’image d’un débat où tous s’invectivent, parfois avec violence.

Sur des plateaux où la contradiction est de moins en moins forte, certains invités, de gauche, à contre-courant, se placent comme journalistes à la place des journalistes, à l’instar de Béligh Nabli. D’autres préfèrent la stratégie « du coup de boule » . « On n’y va pas avec les gants et on utilise les mêmes armes qu’eux » , résume un invité très régulier des émissions de débat, David Guiraud, porte-parole des Jeunes Insoumis et collaborateur parlementaire du député Éric Coquerel.

Le militant insoumis ne s’est pas privé de rappeler à l’ordre l’animateur Olivier Galzi, qui officie sur LCI. « Tout le monde devient fou, y compris vous, monsieur Galzi, quand vous compariez le port du voile à un uniforme nazi. » L’animateur prendra le temps de répondre (voir l’extrait ci-dessus) en expliquant que ce voile « peut être le symbole d’un islam politique, certains parlent d’un islamo-fascisme » , avant de conclure que la prise de parole de son invité insoumis s’appuie sur « la théorie du clash et du buzz et qui ne fait jamais progresser le débat » .

Outré par cette sortie islamophobe, l’un des chroniqueurs de l’émission, l’économiste Thomas Porcher, a annoncé ne plus vouloir y participer.

Depuis les élections européennes, David Guiraud est invité quasiment chaque week-end sur des plateaux pour débattre de l’actualité. Il n’est pas rémunéré pour ces interventions. « Mais je pense que ça fait partie de ma tâche militante » , dit-il . Ce n’est pas la première fois que le militant réagit vivement à des propos islamophobes : « Il y a, dans notre pays, des gens qui appellent à la guerre civile. Les débats sur est-ce qu’il faut dire ou pas « islamophobes », on les a dépassés depuis longtemps. On n’est plus dans la peur, la phobie, on est dans la haine. »

Pour se préparer, l’Insoumis travaille ses interventions avec, à dessein, des mots choc. L’une de ses interventions les plus relayées sur les réseaux sociaux est celle où il a déclaré : « Je pense que Le Point hait les musulmans. »

« Parfois, on me dit calme-toi ou tu ne seras plus invité. Mais moi, je sais qu’ils continueront à m’inviter. Et avec un avantage, car je suis blanc, jeune et en costard. Contrairement à Danièle Obono, quand je parle de ces sujets, on ne me demande pas avant de crier « Vive la République ». Je ne suis pas, de fait, objet de suspicion. Les Arabes et les Noirs, quand ils parlent d’islam, il y a un soupçon pour savoir s’ils font partie du problème. »

La stratégie du « coup de boule » est aussi revendiquée par Raquel Garrido, ancienne porte-parole de La France insoumise, qui a quitté sa formation politique pour devenir une professionnelle de la télévision. Après son passage chez C8 dans l’émission « Les Terriens du dimanche » , animée par Thierry Ardisson, elle a rejoint en cette rentrée l’équipe de Cyril Hanouna dans « Balance ton poste » , toujours sur la même chaîne. « L’adversité ne me gêne pas. Je l’ai beaucoup expérimentée chez Ardisson. Chez lui, il y a vraiment tout le monde qui passe. Si j’ai la responsabilité de me trouver face à quelqu’un qui porte les idées de l’extrême droite, charge à moi de répondre… Pour l’émission de cette semaine, je n’étais pas enchantée que Julien Odoul soit l’invité. Finalement, il a annulé à la dernière minute, remplacé par Jean Messiha. Eh bien, je me suis battue. »

Chacune des personnes interrogées motive sa présence sur les plateaux par la nécessité d’apporter la contradiction, même si elle est minoritaire, et de ne pas laisser la place. Mais depuis l’arrivée d’Éric Zemmour sur CNews, le mardi 15 octobre, pour son émission Face à l’info , certains reconsidèrent leur position, à l’instar des signataires de la tribune « Nous n’irons plus sur CNews » .

Le militant David Guiraud se pose lui aussi des questions. « Si je m’écoutais, je n’irais plus sur CNews, sauf que je ne représente pas que moi-même. Si, à La France insoumise, on est les seuls à boycotter, ça ne marchera pas. Il faudrait un effet d’entraînement de toute la gauche. Et encore… Si on applique ça à CNews, il faudrait aussi boycotter beaucoup d’autres chaînes. Toute la société bascule, soit on s’exclut, soit on va chercher les micros partout. »

Une position partagée par Anasse Kazib. Son rôle dans l’émission « Les Grandes Gueules » est celui d’assurer une propagande, « dans le bon sens du terme » , précise-t-il, « pour véhiculer des idées sociales » . Alors, il ne laisse aucun espace. Du devoir de l’étudiant aux plateaux de télévision, il dit répondre à tout.

Cependant, cette position peut avoir des limites. Celles qu’ont expérimentées ceux qui, fatigués du show permanent et estimant ne plus avoir l’espace pour porter la contradiction, ont décidé de quitter certains plateaux, comme Thomas Porcher ou Caroline Mécary. L’avocate justifie sa décision ainsi : « J’y allais pour porter la contradiction à des idées de droite et d’extrême droite. Encore faut-il que je ne sois pas interrompue, que je puisse développer mes idées, que je ne me fasse pas hurler dessus. Pascal Praud pète les plombs ou il joue à péter les plombs dans sa logique d’Audimat. Et, en ça, il est complètement soutenu par sa direction. La même qui a recruté Éric Zemmour. Les conditions n’étaient pas réunies pour qu’on puisse avoir un vrai débat, alors je suis partie. »

La limite Zemmour

Alors qu’il doit se rendre sur le plateau de BFM, Béligh Nabli dit avoir pris du recul. Il explique ne plus accepter un plateau avant, au préalable, de se renseigner sur les thèmes précis et sur la liste des invités. « Je ne suis pas très loin de penser qu’il ne faut plus regarder cette télévision » , ajoute-t-il.

Assumant ce paradoxe, il appelle à boycotter des émissions où il continue d’intervenir. « Oui, c’est vrai que c’est un peu osé. Mais on vit un moment singulier. Je n’y vais pas pour convaincre des gens qui regardent et qui sont déjà convaincus, mais plutôt pour troubler ceux qui sont en plateau. Démontrer qu’ils n’ont pas raison. »

Comme la plupart de nos autres interlocuteurs, Anasse Kazib a des difficultés à définir les limites de l’acceptable. Éric Zemmour, peut-être. « S »il y avait Éric Zemmour, Marine Le Pen, ou des têtes importantes de l’extrême droite, je n’irais pas. Nous ne disposons que de 17 minutes pour interroger l’invité, à quatre. » Ce qui est insuffisant à ses yeux au regard du profil de ces personnalités.

Pour Raquel Garrido aussi la limite s’appelle Éric Zemmour : « Zemmour c’est trop. J’ai déjà accepté d’aller sur le plateau de « Zemmour et Naulleau » [émission de Paris Première – ndlr] , mais là, son émission sur CNews, je ne peux pas. C’est la première fois que ça m’arrive. En général, je vais au combat contre n’importe qui. Devant Marion Maréchal-Le Pen, j’irai. Alors, vous me direz, quelle différence ? C’est très délicat, je me questionne aussi. Je dirais que la limite qu’a atteinte Zemmour, cette fois-ci, c’est cet appel clair à la guerre civile dans son discours. »

Imposer ses conditions, avoir les sujets en avance, connaître la composition du plateau, voir son temps de parole respecté est un privilège que peu de chroniqueurs ont, puisque, en réalité, ils sont interchangeables. Pour les invités, et encore plus ceux qu’on invite pour apporter la contradiction, il est encore plus difficile de s’exprimer librement.

Fatima Benomar, militante féministe, souvent interrogée en qualité de cofondatrice des EfFRONTé-e-s a récemment fait face à l’élu RN Julien Odoul : « Là, ils m’ont donné la composition du plateau. Par contre, ils restent toujours très flous sur le temps de parole, c’est vrai que sur le plateau, Odoul a monopolisé la parole. »

À l’exception d’une très courte intervention de Nathalie Arthaud, de Lutte ouvrière, l’élu a pu librement s’exprimer pendant plus de cinq minutes et demi avant la première contradiction, portée par la militante féministe. « Nous, on devait juste tenter de grappiller quelques secondes pour lui répondre. Il était central, les autres intervenants étaient contre lui et du coup, il pouvait apparaître comme antisystème. Seul contre tous, c’est la partition qu’il a jouée » , raconte Fatima Benomar.

Même si elle a parfois l’impression d’être un « punching-ball » , elle se rend dans ces émissions. Elle explique être victime d’attaques racistes et sexistes. Mais, nuance-t-elle : « Je suis beaucoup moins exposée qu’une femme voilée. J’ai un bouclier psychologique qui m’amène à tenir sur ce genre de plateau. Cela doit être extrêmement pénible pour les femmes voilées. »

Les femmes qui portent le voile sont peu présentes sur les plateaux mais quand elles le sont, cela peut donner lieu à des séquences assez violentes pour elles. Une invitée de l’émission « Balance ton poste » , présentée par Cyril Hanouna, a fait face aux moqueries du présentateur, aux attaques d’une partie des chroniqueurs et de la part de Jean Messiha, membre du bureau national du RN.

Face à cette violence, des militantes musulmanes ont choisi de ne plus se rendre à la télévision, même pour donner à entendre d’autres voix et d’autres discours. « Chez Lallab, on s’est mis d’accord sur les plateaux auxquels on ne participait pas. On a préféré certaines radios et la presse écrite » , explique Attika Trabelsi, la coprésidente de l’association qui tente de porter les voix des femmes musulmanes dans l’espace public . Pour elles, se rendre sur ces plateaux où l’invective est de mise, c’est risquer d’affronter ensuite une vague de cyber-harcèlement, des agressions ou même de perdre son travail. C’est ce qui est arrivé à la militante après son intervention face à Manuel Valls, le 5 janvier 2017, dans « L’Émission politique » , sur France 2.

Dans un billet publié sur le site de l’association , elle détaille les raisons de son refus. D’abord, les termes du débat, qu’elle considère comme biaisés. « Quand on est sur un temps polémique, on nous contacte beaucoup. Si les médias souhaitaient réellement apaiser les débats, ils s’intéresseraient aussi à ces femmes en dehors de ces séquences sensationnelles. Quand on crée une journée de la femme musulmane, il n’y a personne. Quand on milite, on comprend aussi que rentrer dans le jeu des médias au moment des polémiques ne nous apporte rien de bon, ni à nous ni à la société » , souffle-t-elle.