A droite et à gauche, la cour à l’opinion

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Les opposants au mariage pour tous entendent profiter des atermoiements de l’exécutif pour retourner la tendance en leur faveur.

Matthieu Ecoiffier; Catherine Mallaval

Mariage et adoption pour tous ou pas ? La bataille de l’opinion fait rage. Avec sa concession à la «liberté de conscience», derrière laquelle des maires pourraient s’abriter pour ne pas unir des homos, François Hollande a fourni, s’il en était besoin, un nouveau stock de munitions à la droite. Ce dont n’a pas manqué de se réjouir Jean-François Copé : «[Hollande] est lui-même – maintenant il le montre – très mal à l’aise avec ce projet. Je le comprends. Il a vu des dizaines et des dizaines de milliers de Français dire leur inquiétude, leur incompréhension.» Une allusion aux 100 000 cathos-droite-ultras qui ont manifesté bruyamment samedi et violemment dimanche. Toujours plus facile de (se) mobiliser contre que pour. Dans le camp des pros, on tâtonne sur les moyens de répliquer. Question : peut-il y avoir un retournement de l’opinion d’ici au 29 janvier, début de l’examen du texte par l’Assemblée ?

Où en sont les Français ?

Depuis près d’un an, et l’engagement 31 du candidat Hollande, les sondages s’empilent et se ressemblent. C’est un «oui» très majoritaire au mariage homo, tandis qu’une petite moitié (tantôt au-dessus des 50% tantôt en dessous) est pour l’adoption. Avec, il est vrai, une tendance à l’effritement depuis qu’on est entré dans le vif du sujet, à la rentrée. Pour preuve, le dernier baromètre de l’Ifop pour Valeurs Actuelles (1) qui donne 61% des Français pour le mariage et 48% pour l’adoption.

Dans cette bataille, la gauche dispose d’un bel atout : les tendances de fond de l’opinion. «Il y a certes un clivage gauche-droite et jeunes-vieux sur ce sujet, analyse François Miquet-Marty, président de Viavoice. Mais une majorité de Français accepte désormais le mariage homo. Cela s’appuie sur deux mutations majeures lors des trente dernières années : une banalisation progressive de l’homosexualité qui fait qu’aujourd’hui, une écrasante majorité de Français considère qu’il s’agit d’une manière comme une autre de vivre sa sexualité, et une longue évolution de la valeur mariage, de moins en moins considérée comme le socle de la société, mais comme la consécration d’un amour.»

Pour Jean-Daniel Lévy d’Harris Interactive, «il y a trois grands sujets de société» : «Sur le droit de vote des étrangers et le cannabis, le simple fait qu’il y ait un débat amène les Français à modifier leur jugement et à restreindre leur soutien jusqu’ici hypothétique. Sur le mariage homosexuel, l’opinion est plus constante.» Attention cependant à ne pas crier victoire trop vite. L’espoir, entretenu par la droite, de reproduire la mobilisation de 1984 pour «l’école libre» n’est pas totalement infondé, estime Lévy : «La droite est intrinsèquement et fermement opposée au mariage gay, la gauche y est mollement favorable. Dès qu’on arrive dans le dur du débat, la droite est en capacité de mobiliser beaucoup plus fortement que la gauche.» Difficile cependant d’évaluer les réserves de forces dont disposent les conservateurs dans un pays largement déchristianisé. «On peut penser que les électeurs de droite sont plus critiques sur les impôts et les dossiers économiques. Mais si les dirigeants articulent un bon plan de communication, ils peuvent faire du mariage un point de fixation et de rassemblement et inciter à descendre dans la rue une droite qui n’a jamais accepté la victoire de François Hollande», conclut Lévy.

Comment manoeuvre la droite ?

Justement chez les antis, la stratégie semble rodée : faire monter la pression, par salves, à coups de piques dramatiques, reprenant quasiment mot pour mot la rhétorique de la hiérarchie catholique. Celle-ci, au nom du sacro-saint droit de l’enfant à être élevé par un père et une mère, prédit un naufrage marital, parental, bref sociétal, en cas de vote de cette «supercherie», jugée «contre-nature». Une façon de préparer le terrain, tout en réclamant haut et fort un «vrai débat», des «états généraux», voire un référendum, avec l’espoir que plus les arguments seront étalés, plus l’opinion en sera ébranlée. Des argumentaires contenant des éléments de langage ont été envoyés aux élus. Avec quelques phrases magiques (et inexactes) : «Quand on dit que les mots de père et de mère ont été supprimés du code civil et remplacés par parent 1 et parent 2, on fait un tabac sur les marchés», raconte un député UMP. Après les manifestations du week-end dernier, d’autres sont déjà sur le feu.

Comment joue la gauche ?

Dans le camp d’en face, on se la jouait serein et pédago, du moins jusqu’à la boulette de Hollande mardi. Objectif : donner à voir aux Français la réalité des homos et de leurs familles. Autrement dit, incarner l’évolution nécessaire du code civil. «Les familles homos existent. Il est important de montrer qu’elles ne vont pas surgir ex-nihilo avec la loi», explique l’avocate Caroline Mécary.

La méthode ? Organiser dans l’enceinte de l’Assemblée une série d’auditions qui ont débuté le 8 novembre et se dérouleront tous les jeudis jusqu’à la fin de l’année. Au menu : parler sans détour de la famille d’aujourd’hui, de la procréation et de la filiation. Des députés de tous bords sont invités à y poser toutes les questions qui les tarabustent aux acteurs et experts du dossier. Le choix de les retransmettre en direct sur le site de l’Assemblée et pour partie sur la chaîne parlementaire LCP est inédit pour une réforme de société. «Les auditions des familles et des enfants qui auront lieu le 20 décembre, c’est une première», note Dominique Boren, coprésident de l’Association des parents gays et lesbiens.

Bien vu cet exercice de démocratie en direct ? «Ce sera l’occasion de faire de la pédagogie. La droite dit qu’on ne débat pas, mais il n’y a jamais eu autant de débats !» affirme Nicolas Gougain de l’Inter-LGBT. Mais qu’on ne s’y trompe pas. Pour les militants, l’espoir est aussi là de gratter – via de futurs amendements – quelques avancées sur l’égalité homo-hétéro, en permettant aux lesbiennes l’accès à l’assistance médicale à la procréation. Avec la crainte que plus le temps s’étire, mieux la droite s’en tire.

(1) Réalisé du 6 au 9 novembre, auprès d’un échantillon représentatif de 1 008 personnes.