Vers une GPA responsable grâce à l’Europe

Voici la tribune co écrite avec Daniel Borrillo et Thomas Peroud parue sur le site du journal Libération le 8 mai 2024.
Dans une proposition de directive du 23 avril, le Parlement européen inclut « l’exploitation de la GPA » dans la liste des crimes de traite des êtres humains à côté de l’esclavage, du mariage forcé, de l’adoption illégale et de l’exploitation sexuelle. Afin d’éviter toute ambiguïté, le Parlement souligne : « en ce qui concerne la traite aux fins de l’exploitation de la gestation pour autrui, cette directive cible les personnes qui forcent les femmes à être mères porteuses ou qui les amènent à agir ainsi par la ruse ». De surcroit, le texte précise que « ces règles sont également sans préjudice des règles nationales en la matière ». Autrement dit, les pays pratiquant légalement la GPA comme le Danemark, les Pays-Bas, la Grèce, la Roumanie ou la Belgique peuvent continuer à l’autoriser.
Contrairement à ce qu’un certain nombre de politiciens et une presse conservatrice ont fait croire, il ne s’agit nullement d’interdire la GPA en tant que telle, mais les abus. Ce texte s’inscrit en effet dans la continuité des recommandations du Parlement européen, lequel depuis 2015 estime que « cette pratique, par laquelle les fonctions reproductives et le corps des femmes, notamment des femmes vulnérables dans les pays en développement, sont exploités à des fins financières ou pour d’autres gains, doit être interdite et qu’elle doit être examinée en priorité dans le cadre des instruments de défense des droits de l’homme ».
En ce sens, la proposition de directive doit être analysée dans le contexte international des recommandations comme celles de l’Organisation Mondiale de la Santé et de l’International Committee for Monitoring Assisted Reproductive Technology qui considèrent la GPA comme une forme de procréation médicalement assistée (PMA). De même, les juges de la Cour européenne des droits de l’homme ont observé que « le droit au respect de la vie privée de l’enfant issu d’une GPA requiert que le droit interne offre une possibilité de reconnaissance d’un lien de filiation entre l’enfant et sa mère d’intention ».
Aussi, la Conférence internationale de La Haye encourage l’encadrement des effets de la filiation d’enfants nés d’une GPA comme elle l’avait fait dans le passé pour l’adoption internationale. Allant plus loin, le Parlement européen avait voté une autre proposition de directive en 2022 dans laquelle il proposait un certificat européen de filiation « d’un enfant quelle que soit la manière dont celui-ci a été conçu ou quel que soit le type de famille de l’enfant ».
Concernant la situation française, il ne faut pas oublier que jusqu’à la fin des années 1980, la GPA apparaissait comme une pratique certes rare, mais intégrée dans le droit civil de la filiation. En 2010, le Comité d’Éthique envisageait sa légalisation comme une réponse de la société à une « injustice » de la nature : l’infertilité d’origine utérine.
Suite à plusieurs condamnations de la CEDH, la Cour de cassation a fini par accepter en 2019 la transcription complète de l’acte de naissance de l’enfant issu d’une GPA à l’étranger. La loi de bioéthique de 2021 va cependant limiter l’inscription au seul parent biologique (le parent d’intention devant passer par une procédure d’adoption). La loi est donc plus contraignante que la jurisprudence de la Cour de cassation. En tout cas, à partir du moment où la transcription est possible en France, la GPA devient une question économique. Seules les personnes ayant les moyens financiers de faire une GPA à l’étranger pourront concrétiser leur projet parental.
Si la GPA n’est pas en tant que telle une forme d’exploitation, elle peut le devenir selon le contexte dans lequel elle est pratiquée. Dans des pays où elle est gratuite comme au Royaume-Uni ou au Canada, seul l’altruisme peut en être la source. Dans des pays où elle est rémunérée, les mères porteuses semblent jouir d’une plus grande liberté, comme en Californie. En revanche, en Inde ou en Russie, les femmes porteuses proviennent des populations vulnérables et sont, souvent, victimes d’exploitation. Ce qui est pourtant frappant, c’est que l’émotion provoquée par cette situation se trompe de cible : les angoisses exprimées ne sont certes pas discutables, mais la GPA n’est pas la véritable cause. Considérer in abstracto qu’elle constitue une forme d’esclavage est non seulement faux, mais aussi injuste par rapport aux véritables victimes d’esclavage. De même, dire que toutes les femmes sont libres de disposer de leur ventre est aussi faux, car la nécessité économique peut constituer une telle contrainte qu’il n’y a pas de place pour la volonté. Tout dépend donc du contexte dans lequel se développe cette pratique.
De la même manière que, s’affranchissant de la morale, l’État a pu réguler la contraception, l’accouchement « sous X », l’IVG et la stérilisation volontaire, un droit reproductif nouveau comme la GPA pourra finalement s’organiser à condition qu’elle soit encadrée par le législateur selon nos principes et nos choix sanitaires. Une réglementation permettra de protéger les droits et les intérêts des femmes porteuses, des parents d’intention et des enfants nés par GPA. Seul l’encadrement juridique de cette pratique réduirait les risques d’abus et d’exploitation, tout en garantissant le respect du consentement éclairé et du libre choix des femmes qui acceptent de devenir mères porteuses.
C’est grâce à cette proposition de directive du Parlement européen qu’une discussion à l’échelon national pourra avoir lieu afin d’encadrer la GPA responsable et permettre ainsi aux couples infertiles, aux célibataires et aux couples de même sexe de réaliser leur désir de fonder une famille ».

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