Pour une réforme de la PMA conforme aux droits de l’enfant

Alors que le projet de loi bioéthique arrive en discussion au Sénat le 7 janvier, un collectif de 200 personnes conçues par don, soutenues par plus de 100 personnalités, dont Roselyne Bachelot ou Israël Nisand, appelle à ce que l’accès aux origines soit garanti pour tous

On ne peut que se réjouir des valeurs de responsabilité et de justice portées par le projet de loi bioéthique, qui, tout en ouvrant la procréation médicalement assistée (PMA) à toutes les femmes, institue un droit d’accès aux origines pour les enfants conçus par don de gamètes. Malheureusement, le texte voté en première lecture reste au milieu du gué sur deux questions majeures, au risque d’introduire de véritables discriminations entre les enfants.

Le premier problème concerne la filiation, lien social institué fait de droits, de devoirs et d’interdits. On avait jusqu’à présent deux modalités pour l’établir : soit la filiation dite « charnelle » (j’endosse le statut de parent de cet enfant car je suis supposé en être le géniteur), soit la filiation adoptive (j’endosse le statut de parent de cet enfant car je l’ai adopté). Le projet de loi innove en instituant une troisième modalité d’établissement, correspondant à la spécificité du recours au don de gamètes qui n’est ni une procréation par le couple, ni une adoption. Dans ce cas, la filiation sera fondée sur une « reconnaissance conjointe anticipée » (RCA) de l’enfant par ses futurs parents. C’est un immense progrès. Pour la première fois, la double filiation est fondée sur le projet parental et sur l’engagement solidaire des deux parents, sans hiérarchie entre le parent biologique et celui qui ne l’est pas. Cette place reconnue à la volonté n’implique aucun déni du corps, et il serait utile de le préciser dans le texte : la femme qui accouche deviendra mère à la fois par la RCA et par son accouchement, indiqué dans le certificat du même nom remis à l’officier d’état civil.

Où est alors le problème ? Il est que cette modalité nouvelle est réservée aux couples de femmes, au risque de les mettre « à part » comme si elles étaient les seules à fonder une famille grâce au geste d’un tiers donneur. Pour les couples de sexes différents, on a suivi l’avis du Conseil d’Etat du 16 juillet 2019 qui était de conserver les mécanismes de la filiation charnelle qui ont toujours permis de faire passer les parents pour les deux géniteurs, en jouant sur la « vraisemblance biologique . Dans cet avis, la justification donnée au statu quo pour les hétérosexuels est la suivante : la liberté des parents de cacher le don à l’enfant est « supérieure » au droit de l’enfant de connaître son histoire et d’accéder à ses origines.

Cet argument, qui reprend le raisonnement du temps où il fallait à tout prix mimer une famille biologique, quitte à enfermer l’enfant dans les secrets et les mensonges sur sa propre identité personnelle, n’est pas seulement en profond décalage avec nos valeurs contemporaines. Il est contradictoire avec l’accès aux antécédents médicaux et aux origines que la réforme bioéthique va instituer au bénéfice des enfants conçus par don. Il crée ainsi une discrimination caractérisée : seuls les enfants des couples de femmes seront assurés par la loi de bénéficier de leurs nouveaux droits. Pour tous les autres, on restera dans la logique ancienne du « droit au mensonge », comme si recourir au don était un acte « intime » ne regardant que les parents et non les enfants.

Disposition discriminatoire

Or le paradoxe est que cette solution n’est même pas favorable aux parents de sexes différents, bien au contraire. Alors que la démarche des couples de femmes sera clairement reconnue en droit de la filiation, les parents hétérosexuels resteront des passagers clandestins de notre système de parenté, devant avouer leur « secret » à leurs enfants comme s’il était honteux. Mais notre société a évolué. De plus en plus de personnes conçues par don de la première génération prennent la parole. Elles disent à la fois leur fierté d’être nées de don, leur amour pour leurs parents, leur reconnaissance pour les donneurs et le mal que leur a fait l’institution d’une filiation mensongère. Il est temps de reconnaître que le recours au don est une façon parfaitement belle et légitime de faire une famille : la démarche des parents doit être valorisée et accompagnée, les droits de l’enfant respectés.

Un second grand problème posé par le projet de loi concerne la possibilité de contacter les anciens donneurs. La loi ne sera pas rétroactive, bien entendu, mais on admet que le donneur ou la donneuse « ancien régime » pourra lever volontairement le secret de son identité. Or la commission d’accès aux origines qui va être créée ne pourra pas solliciter ces donneurs. Elle devra attendre qu’ils se manifestent spontanément. Cette disposition est inopérante et discriminatoire. Elle est inopérante car on sait d’avance que l’immense majorité des anciens donneurs ne feront pas cette démarche, alors qu’ils auraient accueilli avec bienveillance une demande particulière venue d’une personne née grâce à leur don.

Ainsi, alors que l’accès aux origines sans être ni une obligation ni une nouvelle norme psychologique est un droit désormais reconnu, des milliers de possibilités de répondre à une quête personnelle seront perdues. Des espoirs vont s’effondrer alors que la réponse était à portée de main. Mais ce n’est pas tout. Cette disposition introduit une discrimination caractérisée entre les enfants recherchant leurs origines, selon qu’ils sont nés sous X ou conçus par don. En 2002 fut créé le Conseil national pour l’accès aux origines personnelles (Cnaop) pour les enfants nés sous X.

Ce Conseil a justement pour tâche de retrouver si possible la mère de naissance et de lui demander, dans la plus grande discrétion, si elle serait d’accord pour révéler son identité à la demande de l’enfant. Quand elle est retrouvée, dans un cas sur deux environ elle dit oui. Sa décision est toujours respectée scrupuleusement. Comment peut-on justifier aujourd’hui d’instaurer une telle inégalité entre les enfants nés sous X, dont on sait que leur naissance a eu lieu dans des circonstances dramatiques, et les personnes conçues par don ? Comment peut-on croire que ce que nous faisons depuis près de vingt ans en direction de ces femmes dans le plus grand respect, nous ne puissions pas le faire demain en direction de donneurs et de donneuses qui pour leur part n’ont rien vécu de dramatique et dont le geste généreux est aujourd’hui unanimement salué ?

Le projet de loi bioéthique sera demain débattu au Sénat. Il est encore temps de l’amender. Ne faisons pas une loi qui, en restant au milieu du gué, échoue à promouvoir des valeurs fortes et fédératrices, et parvient à ce comble de mettre « à part » la filiation des enfants de mères lesbiennes, tout en privant d’un droit fondamental les enfants de parents hétérosexuels. En matière de filiation, la priorité doit aller à l’enfant. C’est pourquoi nous demandons l’élargissement de la RCA à tous les enfants conçus par don, que leurs parents soient célibataires ou en couple, de sexe différent ou de même sexe. Au moment où nous créons une commission pour l’accès aux origines des personnes nées de don, ne la privons pas simultanément de tout moyen d’agir pendant près de vingt ans. Refusant toute discrimination, nous demandons que les personnes conçues par don avant la nouvelle loi aient les mêmes droits que ceux dont bénéficient déjà les personnes nées sous X.

Note(s) :
Parmi les soutiens de l’appel : Michèle André, ancienne ministre; Roselyne Bachelot, ancienne ministre; Elisabeth Badinter, philosophe; Josiane Bigot,magistrat honoraire, présidente de l’association Themis; Camille Chapin-Derennes, présidente de l’association PMAnonyme; Maurice Godelier, anthropologue, médaille d’or CNRS; Serge Hefez, psychiatre-psychanalyste; Caroline Mecary, avocate; Alain Milon,sénateur; Israël Nisand, gynécologue obstétricien, fondateur du Forum européen de bioéthique; Pierre Rosanvallon, professeur au Collège de France; Irène Théry, sociologue, directrice d’études à l’EHESS; Alexandre Urwicz, président de l’Association des familles homoparentales; Dominique Versini, ancienne défenseure des enfants