Pascal Praud, le démago show

Chaque jour, dans « l’Heure des pros », sur CNews, l’incontrôlable animateur se lamente, avec sa bande de chroniqueurs, sur la France qu’on assassine

Belattar versus Zemmour, l’humoriste chantre d’un pays pluriel contre l’apôtre de la France rance. Le 19 mars, sur CNews, Pascal Praud promettait du sang sur la mire. Un mois plus tôt, « Yassine le mondialiste » avait claqué la porte de LCI, où il officiait, pour protester contre l’invitation d’« Eric le nationaliste ». « Ces deux enfants de France que tout semble séparer », du Praud dans le texte, allaient donc en découdre sur le plateau de son talk-show matinal et éruptif, où les dérapages se succèdent plus vite que les invectives sur Twitter. Et il y eut bien des échanges au ras du ring. Couvé par la maison Bolloré, Pascal Praud, ancien de « Téléfoot », a mouillé le maillot pour faire naître CNews sur les cendres d’iTélé, sacrifiée à l’issue d’une longue grève conduite au nom de la déontologie. Cent journalistes sont partis en 2016, « l’Heure des pros » a prospéré. Experts de rien, spécialistes de tout Celui qui aimante jusqu’à 200 000 fidèles chaque jour reçoit dans son bureau, en présence d’une attachée de presse. « Cette émission me ressemble, amorce-t-il. On y commente l’actu sans filtre. » Aucun doute, elle ignore le surmoi. Autocensure déconseillée pour qui veut décrocher son rond de serviette d’expert de rien mais spécialiste de tout, houspillé par le maître de cérémonie : « Quand ça s’enlise, je coupe le sifflet, couic ! Je veux du rythme. » Et il est servi : « Peut-on terminer une phrase sans s’engueuler ? » ; « Vous avez les fils qui se touchent, vous disjonctez ! » … « Comme si, note François Jost, sociologue des médias, le niveau des débats proche de celui qu’on a au bistrot certifiait le parler vrai. » Un bar de l’info qui a ses habitués : Jean-Claude Dassier, ex-patron de LCI recyclé à « Valeurs actuelles » ; Philippe Bilger, ancien magistrat autoproclamé « réactionnaire » ; Elisabeth Lévy, figure de proue de « Causeur » ; Ivan Rioufol, signature du « Figaro » proche de la droite identitaire ; ou encore Charlotte d’Ornellas, plume catho de « Valeurs actuelles », voix de Radio Courtoisie, formée à « Présent » et au site Boulevard Voltaire, qui éditorialise à tue-tête avec Robert Ménard. Xavier Lahache/CNEWS Pascal Praud Si « tonton Pascal » appelle ses convives à « s’exprimer à l’antenne comme dans un dîner de famille », témoigne Charlotte d’Ornellas, il ne risque pas d’entendre résonner « l’Internationale » entre la poire et le gigot-haricots. Ici, c’est le pays éternel qu’on défend via des bandeaux comme « Le cannabis a remplacé le beaujolais ». Si cette substitution ne signe pas la menace que fait peser l’ennemi intérieur sur nos gauloises traditions, les « pros » ne s’y connaissent pas ! Chaque jour retentit un requiem pour la France qu’on assassine. « J’ai vu dans les manifestations de « gilets jaunes » des femmes voilées avec des pancartes antisémites dans le dos : le mouvement, révélateur des maux de la France, est subverti par l’islamisme », alerte Ivan Rioufol le 22 février. Six jours plus tard, Jean-Claude Dassier dénonce « des pressions centrifuges ou centripètes – je confonds toujours – qui font que les églises sont vides et les mosquées pleines ». Un dernier pour la route ? « Le tout féminisme m’exaspère, j’ai l’impression parfois qu’on vit au Pakistan ! », grince Charlotte d’Ornellas le 5 mars. « Je suis d’accord, ronronne le patron. Dans nos métiers, être une femme de 20 ou 30 ans est un avantage. Si toute la société française était à l’image de ce qui se passe dans les médias, ça irait mieux. » Praud en convient, « si on a le curseur sensible, ça peut heurter, mais ces opinions ont gagné du terrain. Et puis j’ai aussi avec moi Laurent Joffrin, de « Libé », le communiste Olivier Dartigolles, le journaliste Gérard Leclerc ou l’avocate très, très à gauche Caroline Mécary. » A l’inverse de ses camarades de joute, rémunérés entre 130 et 250 euros la prestation, cette « juriste rouge » intervient à titre gracieux. Et lâche ses coups sans entrave. « Je suis un formidable alibi : femme, lesbienne, progressiste, voilà les raisons de mon « recrutement », celles aussi de ma relative relégation à l’antenne tant mes valeurs y sont minoritaires. » Pourquoi alors jouer les « gauchos utiles » ? « Je me coltine ces démagogues pour défendre des principes qui m’importent. Je ne cherche pas à les convaincre, je m’adresse aux téléspectateurs. » Souvent inaudible malgré ses appels désespérés à la modération, l’universitaire récemment enrôlé Benjamin Morel estime qu’ « au-delà de la couleur politique des invités, ce sont leurs marottes – identité, perte des valeurs et supposée dictature des minorités actives – qui connotent les débats ». Charlotte d’Ornellas se réjouit que le temps de la « confiscation » des plateaux par ceux qui la comparent à une « Zemmour en jupons » soit révolu. Quant à Philippe Bilger, il admet que le sujet des « élites déconnectées » vire à la ritournelle, mais loue l’aptitude de Praud à « s’arrêter juste avant le populisme de mauvais aloi ». A voir… « On n’est pas au Collège de France » « Si je ne comprends pas, personne ne comprendra » ; « On n’est pas au Collège de France » … L’animateur-bretteur ne porte pas la voix du peuple, il est le peuple. « J’exprime ce que je crois être la réaction des gens devant leur poste. » Et comme souvent Français varie, lui aussi. Avocat des « gilets jaunes » en novembre, il crie désormais à « l’insupportable prise d’otages ». Validées par l’Institut du « bon sens près de chez vous », les convictions des « pros » s’embarrassent peu du réel. En avril 2018, l’intuitif « Pascal » soutient qu’il est difficile de « convaincre quiconque se balade dans Paris que la pression migratoire faiblit ». Le politologue Clément Viktorovitch dément : « Vous posez que ce que vous croyez voir est la réalité et vous doublez d’un argument ad populum qui considère que ce que croit la majorité est la vérité. Navré, c’est faux. » Moue de « Monsieur peuple ». En 2018, plus de 1 200 téléspectateurs ont saisi le Conseil supérieur de l’Audiovisuel (CSA). Ce dernier a instruit et… classé. L’animateur sait jusqu’où aller trop loin. En mai, André Bercoff, soldat de la « nécessaire réinformation » face aux médias traditionnels, insinue que le sauvetage d’un enfant par le Malien Mamoudou Gassama, sans-papiers régularisé depuis, relève de la conspiration. Le plateau finit par se désolidariser. Suffisant pour que le CSA salue un débat contradictoire ! Praud n’exclut pas de réinviter Bercoff au nom de la sacro-sainte liberté d’expression. Et de l’audience. Qu’importe le populisme pourvu qu’on ait le buzz. « Les gens nous regardent, alors les critiques, je m’en fous. » Les Balkany, dit-on, ne filent jamais à la mairie de Levallois avant d’avoir vu l’émission. Nathalie Gathié « L’Heure des pros », du lundi au vendredi à 9h.

Le Nouvel Observateur