Parents à tout prix: la jungle des sites de coparentalité

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Alors que le projet de loi bioéthique a été voté en première lecture à l’Assemblée nationale, des sites français de coparentalité proposent de trouver un père ou une mère pour concevoir et élever sa progéniture.

Faire un enfant ensemble… sans être ensemble. C’est le pari risqué de la coparentalité. Depuis quelques années, certains sites facilitent la mise en relation de ces couples homosexuels ou de ces célibataires qui cherchent à tout prix à être parents. Coparents.fr, Familyship.org, Copaentalys, Chidable: en France, il en existe une dizaine.

Des poupons joufflus aux airs espiègles et des familles hilares accueillent les parents en mal d’enfants sur ces sites. «Homme célibataire cherche à fonder une famille» , «nous sommes un couple de femmes et nous désirons un père pour notre futur enfant» , «Cherche une coparentalité pour que ses deux parents biologiques soient impliqués dans l’éducation de l’enfant» … Voilà le genre d’annonces qui y sont postées quotidiennement. À l’heure du débat sur la procréation médicalement assistée pour toutes, la coparentalité apparaît comme une option plus simple et rapide que le processus médical d’une PMA, souvent jugé complexe.

«Nous vous aidons à trouver un futur papa ou une future maman» , promet ainsi Coparentalys, un site fondé en 2014, qui compte 18 000 abonnés. L’absence de statistiques rend impossible la description d’un profil type. Frédéric Bianco, fondateur du site Coparentalys, tente toutefois une ébauche de réponse: «On peut identifier plusieurs catégories de personnes. Il y a celles qui n’arrivent pas à rencontrer l’amour, celles qui souhaitent garder une certaine indépendance et ne veulent pas une vie de couple mais sans pour autant renoncer à devenir parents. Et il y a bien sûr les couples homosexuels pour qui le circuit de la PMA est jugé trop complexe ou trop long et d’autres pour qui la GPAn’est pas envisageable, pour des raisons éthiques. Les demandes sont très diversifiées mais en revanche, on ne permet pas aux femmes de trouver un donneur de sperme mais un géniteur» , explique le créateur du site.

Âmes seules ou couples homosexuels, pour s’inscrire, le principe est simple: couleur des yeux, taille, longueur des cheveux, silhouette mince, «brioche» ou surpoids… Cocher des cases, sélectionner la parentalité qui nous intéresse (un père, une mère, une homoparentalité ou un géniteur par exemple) et poster l’annonce qui changera peut-être tout.

C’est ce qu’a fait Antoine*. À 40 ans, il s’est inscrit sur l’un de ces sites dans l’espoir de faire un enfant avec une femme, qui, comme lui, ne cherche pas à être en couple. Des centaines de profils ont défilé sous ses yeux et une vingtaine de rendez-vous avec des mères potentielles se sont enchaînés: «Ce sont des ‘’dates‘’ puissance 10 car rien de ce qu’on se dit n’est superficiel, on n’a pas le temps de se raconter des banalités. On rentre dans l’intime directement, c’est hyper intense» , se souvient le quadragénaire, devenu finalement papa il y a quatre ans. Depuis, il vit en Suisse dans un appartement avec son compagnon et la mère de leur enfant.

«Il vaut mieux une parentalité choisie que subie»

Si le principe a des airs de «casting» ou de «speed dating» atypiques, Alexandre Urwicz, président de l’association des Familles Homoparentales (ADFH), alerte sur les dangers de cette coparentalité 2.0: «Internet a changé les choses. Avant, il n’était pas rare – surtout pour les couples homosexuels – de demander un coup de main à un proche pour faire un enfant. Aujourd’hui, le danger de ces sites, c’est qu’on ne connaît par définition absolument pas la future mère ou le futur père de sa progéniture. Fréquemment, on voit des cas où deux femmes proposent une coparentalité à un homme en lui promettant une paternité. Mais au moment de la naissance, elles disparaissent. L’homme n’a généralement pas vérifié leurs identités, il est donc impossible pour lui de reconnaître l’enfant et/ou de le retrouver. Ces femmes cherchaient un donneur de sperme et non un père. Il s’agit en fait d’une PMA artisanale» , signale Alexandre Urwicz.

Pour pallier ce type d’incidents et se prémunir d’éventuels conflits, Marion et Anaïs* ont cosigné une «charte de coparentalité» avec les deux pères de Tom, rencontrés par des petites annonces dans un journal édité par une association.Toutefois, selon Caroline Mécary, avocate du barreau de Paris spécialisée dans le droit des homosexuels, cette précaution n’a que peu de valeur : «Ça rassure les gens d’avoir un contrat. Mais sa portée est plus morale que juridique, finalement. Les juges ne sont en aucun cas tenus de les respecter».

Jusque dans la conception de Tom, ces quatre parents ont tenu à tout « copartager » . «Pendant le trajet en voiture de 70km qui sépare le domicile des pères du nôtre, le père social – le compagnon du géniteur – a porté le sperme du papa de Tom. Puis c’est moi qui ai procédé à l’insémination dans l’utérus de mon épouse, pour que tout le monde participe et s’implique» . Le mercredi soir, un week-end sur deux et la moitié des vacances scolaires, Tom réside chez ses pères, et le reste du temps, il vit chez ses mamans. «On essaye de se structurer et de respecter la parité au maximum. Aujourd’hui, nous sommes une vraie famille, à cinq. On pense qu’il vaut mieux une parentalité choisie que subie» , s’enthousiasme Marion, une aide-soignante de 46 ans.

Comme beaucoup de coparents, Marion et Anaïs ont eu recours à une insémination artisanale, autrement dit, une insémination effectuée sans assistance médicale, avec recueil du sperme frais du donneur dans un récipient puis injection dans le vagin à l’aide d’une pipette-seringue. Une pratique illégale en France et passible de 30.000 euros d’amende et de deux ans de prison, selon le Code de la santé publique. «On a mis deux ans à avoir Tom, il a fallu tenir bon. Mais aujourd’hui, c’est un vrai bonheur que l’on partage à cinq. Et même à treize, quand tous les grands-parents sont là» , se félicite Marion.

Mais combien de familles en coparentalité connaissent cet équilibre? Dans son association, Alexandre Urwicz précise que de toute évidence, «ceux pour qui tout se passe bien, ne [l]’appellent généralement pas» , mais il estime qu’environ 60% des coparentalités ne connaissent pas le même destin heureux que Marion et Anaïs.

Quand l’idylle familiale tourne mal

Franck et David* sont mariés et ont eux aussi eu recours à Internet pour trouver la future mère de leurs enfants. Après deux ans à écumer les différents sites et profils, David et Franck choisissent Nathalie*, infirmière en urgence pédiatrique. Ensemble, David et elle donnent naissance à Hugo*, par insémination artisanale. C’est là que les problèmes ont commencé. «Tout s’est compliqué dès la naissance. Professionnellement, Nathalie avait un emploi du temps très contraignant, qui la rendait indisponible une semaine sur deux. Au lieu de nous confier l’enfant ces semaines-là, elle a engagé une baby-sitter sans nous consulter» . David dépose huit plaintes en tout pour non-présentation de l’enfant. En vain. Le conflit s’enlise et un signalement de l’école alerte le juge des enfants. Le petit Hugo est désormais placé en famille d’accueil depuis trois ans avec un droit de visite restreint pour David. «Nathalie refuse tout contact avec nous depuis des mois. Le juge nous a dit que tant que nous n’arriverons pas à nous parler, l’enfant restera placé. Ça fait deux ans qu’on se bat pour le sortir du placement» , se désole Franck.

Alors qu’Hugo a un an et demi, Franck désire lui aussi connaître la paternité: «On s’est dit qu’on était mal tombé, qu’il fallait rester positif et qu’il n’y avait pas de raison que cela se reproduise» . Franck et son mari rencontrent alors Julie*, 37 ans, sur Internet. Ils se fréquentent pendant un an, partent en vacances ensemble… «Tant que j’étais le bon copain, tout allait bien. Le jour où elle est tombée enceinte et que j’ai pris le statut de père, les choses ont changé» . Pour la première fois, alors que la petite a déjà six mois, Julie autorise Franck à voir l’enfant hors de son domicile. Il rend la petite avec quinze minutes de retard. «Elle m’a dit: ‘’Tu m’as arraché le ventre, tu ne la reverras plus’’» . Entre chantage et menaces, l’enfer continue. Un affrontement violent scelle la mésentente des deux parents, nous raconte Franck, qui assure avoir porté plainte.

Aujourd’hui, il ne retenterait pas l’expérience: «Si c’était à refaire? Je choisirais la GPA. Aujourd’hui, je peux comprendre les pères qui baissent les bras et disparaissent face à ce genre de situation» . Il espère que l’ouverture de la PMA pour toutes permettra de donner davantage de choix aux familles qui n’ont, pour l’instant, d’autres solutions que de se tourner vers ces sites.

*Le prénom a été modifié